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Sur les pas d'Albert Cohen à Genève

February 25th, 2025
Luisa Ballin, journaliste
geneveMonde

L’écrivain Albert Cohen (Corfou, 1895 - Genève, 1981) a vécu pendant près d’un demi-siècle dans la Cité de Calvin, où il a travaillé en tant que fonctionnaire international avant de se dédier à l’écriture. Ses romans, dont Belle du Seigneur, Grand Prix du Roman de l’Académie française en 1968, ont notamment pour décor le milieu des organisations internationales et celui de la bourgeoisie locale.

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Marie-Luce Desgrandchamps, co-autrice du guide littéraire «Albert Cohen et Genève»
January 25th, 2025
Marie-Luce Desgrandchamps, co-autrice du guide littéraire «Albert Cohen et Genève»

Dans un entretien accordé à geneveMonde.ch, Marie-Luce Desgrandchamps, historienne chargée d’enseignement à l’Université de Genève, évoque des lieux emblématiques éclairant l’œuvre d’Albert Cohen, dont le Palais Wilson, le Palais des Nations et le Centre William-Rappard, siège du Bureau International du Travail (BIT) lorsqu’Albert Cohen y était employé, aujourd’hui siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En novembre 2024, un livre collectif, sous forme d'un guide littéraire de la Genève d'Albert Cohen, présente sous une nouvelle forme le lien de l'écrivain avec sa ville d'adoption.

Entretien mené par Luisa Ballin

Les archives de la RTS
December 25th, 1973

Luisa Ballin: Comment est née l'idée de ce livre collectif Albert Cohen et Genève - guide littéraire, paru aux Editions La Baconnière?

Marie-Luce Desgrandchamps. Ce livre est un travail collectif. L’idée de départ est venue de l’historien de l’art Bruno Racalbuto qui était intrigué par l’absence de mise en valeur des liens entre Albert Cohen et Genève. Avec d’autres personnes passionnées par l’œuvre de cet écrivain : le journaliste Pierre-Louis Chantre, la gestionnaire du patrimoine Idit Ezrati Lintz, les historiens Thierry Maurice et Yan Schubert ainsi qu’avec l’architecte Noémie Sakkal Mivill, nous nous sommes donc rassemblés pour mieux comprendre et mettre en lumière le rapport qu’a entretenu Albert Cohen avec Genève, sa ville d’adoption. En plongeant dans ses fictions, notre groupe a recensé plus de 300 références à des lieux genevois.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons cartographié ces occurrences et avons retenu les points qui nous permettaient de croiser diverses thématiques que l’on retrouve dans la vie et l’œuvre d’Albert Cohen, telles que l’amour, le sionisme, le fonctionnariat international, l’exil ou encore la religion. Nous avons également organisé des visites guidées à Genève pour valoriser la présence de cet auteur à la fois connu et mystérieux, et voulu voir si notre démarche rencontrait l’intérêt du public. Les retours ont été extrêmement positifs. C’est ainsi que nous avons opté pour une forme de livre-guide richement illustré qui propose six promenades comprenant un ensemble de 29 lieux.

Albert Cohen avait une relation ambivalente avec Genève. Dans ses livres, il critique notamment la Société des Nations, la Genève internationale, le milieu bourgeois genevois, alors que Genève a été pour lui un havre, un refuge.

En menant nos recherches, nous avons en effet constaté que Genève a été un lieu-refuge pour l’écrivain, même si ce dernier ne manquait pas d’être critique vis-à-vis des organisations internationales et des familles patriciennes genevoises, milieu bourgeois qu’il connaissait bien puisque sa première épouse en était issue tout comme d’autres de ses compagnes. Il n’a pas épargné non plus le rapport à l’argent, la place des banques, autres lieux emblématiques de la ville. Si Cohen n’a pas hésité avec beaucoup d’humour certains travers de la Cité de Calvin, de ses habitants et de ses institutions, ses écrits laissent également entrevoir son véritable attachement à Genève où il a vécu pendant une cinquantaine d’années.

Qu’en est-il de son rapport à la Société des Nations, ancêtre de l’ONU ?

Bien qu’il n’y ait pas travaillé directement, la Société des Nations fournit un décor de choix pour les romans d’Albert Cohen qui a toutefois gravité dans le milieu des organisations internationales durant plusieurs années. Entre 1925 et 1926, il a été l’adjoint de Victor Jakobson, le représentant à Genève de l’Organisation sioniste mondiale, qui tentait de faire valoir la cause du sionisme auprès de la Société des Nations. Albert Cohen a ensuite travaillé au Bureau international du Travail (BIT). Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a été juriste auprès du Comité intergouvernemental pour les réfugiés sis à Londres, puis est revenu au bout du lac en 1947, au moment où ce Comité a intégré l’Organisation internationale pour les réfugiés, ancêtre du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). Il y a été employé pendant deux ans, avant de retourner au BIT où il a terminé sa carrière de fonctionnaire international en démissionnant pour se consacrer entièrement à l’écriture dès 1952.

Albert Cohen a participé à l’élaboration d’un texte important sur les réfugiés.

Oui, il est l’un des auteurs d’un accord signé 1946, qui octroie aux réfugiés apatrides ou ne jouissant de la protection d’aucun gouvernement la possibilité de pouvoir obtenir un titre de voyage. Cette disposition est reprise dans la Convention internationale pour les réfugiés promulguée en 1951. L’importance du rôle de haut fonctionnaire international d’Albert Cohen a commencé dans les années 40, après la Deuxième Guerre mondiale, en tant que Directeur de la Division de Protection dans l’organisation internationale pour les réfugiés. Avant cela, dans les années 20, Albert Cohen était un petit fonctionnaire qui cherchait à obtenir la prolongation de ses contrats temporaires, pas toujours avec succès.

Albert Cohen arrive dans la Cité de Calvin venant de Marseille, en étant sujet ottoman. Pourquoi est-il venu à Genève ?

Il a vécu 14 ans à Marseille, ville où ses parents sont restés jusqu’à leur mort. En 1914, Albert Cohen se rend à Divonne pour soigner sa santé fragile avant d’arriver à Genève où il étudie le droit à l’université. C’est à Marseille qu’il développe son amour de la langue française et forge son amitié avec l’écrivain Marcel Pagnol, rencontré au lycée dans la cité phocéenne. Cohen dira que Pagnol est son plus grand ami.

Ce dernier prononce notamment un discours lors d’un hommage rendu à Cohen à Genève en 1969. On connait toutefois assez peu de choses sur les amitiés d’Albert Cohen. Il a été difficile d’écrire sur l’écrivain genevois, car selon ses volontés, il a fait détruire ses documents personnels ainsi que les brouillons de ses œuvres. Sans doute pour que l’on ne puisse pas entrer ni dans son intimité ni dans son processus créatif.

Les autorités genevoises mettent-elles en lumière la présence d’Albert Cohen dans notre ville, ou sont-elles réticentes à le faire compte tenu des critiques émises par l’écrivain envers les organisations internationales et la froideur du milieu calviniste genevois ?

Cette faible visibilité n’est pas spécifique à Albert Cohen. D’autres écrivains ayant passé du temps à Genève, comme l’auteur argentin Jorge Luis Borges dont la tombe se trouve au cimetière des Rois, sont relativement peu mis en valeur. Une petite rue située en dessous de la gare Cornavin porte toutefois le nom d’Albert Cohen. Elle n’est pas facile à trouver et ne rend pas vraiment justice à Albert Cohen. Les autorités de la Ville ont d’ailleurs reconnu que ce choix n’avait pas été bon.

Dans les itinéraires proposés dans votre ouvrage, vous évoquez le Palais des Nations et le Palais Wilson. Ont-ils été des lieux importants pour Albert Cohen ?

Les organisations internationales et certains de leurs bâtiments, très intéressants, y occupent en effet une place importante. Dans les années 1920, Albert Cohen a fréquenté le milieu des organisations internationales. À l’époque, le Palais des Nations n’existait pas encore, raison pour laquelle nous avons aussi mis en évidence le Palais Wilson qui a été, dans les années 40, le siège de l’organisation internationale des réfugiés au moment où Albert Cohen y travaillait. Cet ancien hôtel a également été le siège de la Société des Nations (SDN) pendant une quinzaine d’années.

L’auteur de Belle du Seigneur et du Livre de ma mère est un des romanciers qui ont fait de leur vie une œuvre. Des extraits de ses romans figurent d’ailleurs en ouverture de chaque chapitre de votre livre. Comment définir cet auteur mystérieux ?

Certaines personnes décrivent Albert Cohen un « automythobiographe » qui a forgé une forme de légende autour de sa personnalité et de son parcours. Il a en outre brouillé les pistes en mettant un peu de lui dans nombre de ses personnages de fiction.

À lire et à parcourir : Albert Cohen et Genève – Guide littéraire. Éditions La Baconnière (novembre 2024).

Deux événements liés à ce guide littéraire sont organisés le 23 mars 2025, dans le cadre du Salon du Livre de Genève, :

  • 10h. visite guidée: du Palais Wilson à la gare Cornavin
  • 11h30 discussion sur la scène du Cercle à Palexpo
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Feb 26th, 2025
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