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Le Graf Zeppelin comme «une bulle de savon» au-dessus de Genève Featured

September 14th, 1930
L'Inédit-archives du magazine de notreHistoire.ch

Par Martine Salomon, texte paru dans L'Inédit, le magazine de notreHistoire.ch, en 2020

Photo de couverture: Archives de la commune de Meyrin/notreHistoire.ch

Viendra-t-il ? Des nuages noirs ont semé le doute en matinée, mais la météo s’embellit à mi-journée. Il devrait donc pouvoir atterrir. Les yeux rivés sur le ciel, 30’000 personnes trépignent d’impatience à l’aérodrome de Genève-Cointrin ce dimanche 14 septembre 1930. Des hauts-parleurs diffusent la musique d’un gramophone et les commentaires enjoués d’un animateur. Cris d’enthousiasme vers 14 h: le plus grand dirigeable du monde arrive enfin. Sa carapace argentée scintille au soleil, et l’on entend son fameux ronflement sourd. Aussi imposant qu’un paquebot, il flotte pourtant dans les airs avec grâce. La foule est fascinée.

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La foule est nombreuse pour voir le Zeppelin à Cointrin (14.09.1930), coll. Archives de la commune de Meyrin
September 14th, 1930
La foule est nombreuse pour voir le Zeppelin à Cointrin (14.09.1930), coll. Archives de la commune de Meyrin

Son nom: LZ 127 Graf Zeppelin, en référence au comte («Graf») Ferdinand von Zeppelin (1838-1917), l’inventeur des dirigeables rigides en aluminium. Ces engins sont construits à Friedrichshafen en Allemagne, près du lac de Constance. Inauguré en 1928, le Graf Zeppelin suscite un fort engouement, tant par son allure majestueuse que par ses exploits, tels que la traversée de l’Atlantique et même un tour du monde. Sa vitesse dépasse les 100 km/h. Lors de ses croisières, les populations se précipitent aux balcons ou sur les toits pour l’admirer. Les Suisses en ont déjà aperçu en vol, mais c’est la première fois que les Genevois en verront un atterrir chez eux.

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Le Graf Zeppelin au-dessus de Corsier, coll. C.-A. Fradel
Le Graf Zeppelin au-dessus de Corsier, coll. C.-A. Fradel

L’appareil a décollé de Friedrichshafen, puis a survolé Schaffhouse, Aarau, Soleure, Berne et Fribourg. Il arrive à Genève avec une heure d’avance. Mais il faut respecter le programme technique et protocolaire: il fait donc encore un tour au-dessus du lac et des environs, pour le plus grand bonheur des habitants de la région. Soudain, à 15h. ces paroles solennelles dans les hauts-parleurs: «Attention, du calme, du silence !» Il est prêt à atterrir. Avec ses 237 mètres de long, il mesure plus de la moitié de la piste de l’aérodrome, qui ne fait que 450 mètres. Ses cinq moteurs ralentissent, puis il s’immobilise au-dessus du sol. Des trappes s’ouvrent sur ses flancs. De longues cordes en jaillissent, saisies et tirées par 200 soldats aérostiers postés au sol. Pour stabiliser l’engin, des pompiers remplissent d’eau ses immenses réservoirs. Au total, pas moins de 500 bras sont à l’oeuvre pour faire atterrir une cinquantaine de passagers et membres d’équipage.

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Engagement de la Compagnie d'aviation de chasse 13 à l'atterrissage du Graf Zeppelin à Cointrin, (14.09.1930), coll. Stéphane Thurnherr
September 14th, 1930
Engagement de la Compagnie d'aviation de chasse 13 à l'atterrissage du Graf Zeppelin à Cointrin, (14.09.1930), coll. Stéphane Thurnherr

Le contraste entre la taille du dirigeable et les constructions environnantes est saisissant. Seuls les invités officiels peuvent s’en approcher. Il y a notamment le conseiller fédéral Giuseppe Motta, le président du Conseil de la Société des Nations, le ministre allemand des Affaires étrangères et l’ambassadeur d’Allemagne en Suisse. Moult discours sont prononcés. Une poignée de VIP ont la chance de visiter l’aéronef mythique et ses cabines privées, sa salle à manger ou encore sa cuisine. Des fonctionnaires chargent de gros sacs dans le zeppelin: ils contiennent des milliers de lettres et cartes portant un cachet spécial célébrant cette date mémorable. Ces courriers seront lâchés en plein vol. Ils constitueront plus tard un régal pour les philatélistes et les passionnés d’aéronautique.

Le conseiller fédéral a disparu!

Vers 16h, les manœuvres du départ commencent. On détache les cordes et on vide les réservoirs. Surprise: parmi les personnalités au sol, il manque le conseiller fédéral ! Il s’est introduit dans le zeppelin à la dernière minute, avide d’en découvrir l’intérieur même si les visites étaient officiellement closes. Il en redescend in extremis, alors que les moteurs s’enclenchent déjà. «Lâchez tout !», ordonne le capitaine du dirigeable. Le géant métallique remonte lentement vers le ciel, «comme une bulle de savon», décrit La Gazette de Lausanne. Sur sa carapace, la bise fait «un bruit semblable à un énorme vol de perdreaux», image Le Journal de Genève. Sa visite, qui marque l’esprit de chacun, laisse un souvenir encore plus frappant aux serveurs du buffet officiel. Ce sont les meilleurs garçons de café de la ville, embauchés pour l’occasion. Tout enveloppés de dignité dans leurs costumes noirs en queue de pie, ils sont littéralement douchés par l’eau jaillissant des réservoirs lors du décollage.

De l’émerveillement au doute

Le LZ 127 survolera encore régulièrement la Suisse. Malgré l’émerveillement, un malaise pointe. En 1931, La Gazette de Lausanne publie un courrier critique rédigé par un ancien officier supérieur de l’armée suisse. Il souligne que le dirigeable allemand survole assidûment le territoire helvétique, tout comme l’année précédente. «Ces excursions auxquelles nous assistons, le nez en l’air et la bouche ouverte», n’auraient-elles pas des objectifs inavouables ? Cet «engin de guerre camouflé en touriste » est étonnamment autorisé à survoler le pays en toute liberté. «Si l’on écoute ce qui se dit aux champs et dans les vignes, l’impression persistante est que ces voyages ont pour but l’espionnage par la photographie.» Le Journal de Genève interpelle le Conseil fédéral, qui rétorque ceci: «La Suisse possède les meilleures cartes topographiques du monde, que chacun peut acheter. On y trouve tous les renseignements que pourrait fournir une prise photographique opérée du haut d’un zeppelin.»

De fait, les dirigeables fascinent mais portent aussi leur part d’ombre. Lors de la Première Guerre mondiale, ils ont été utilisés parfois pour lâcher des bombes. Cette pratique était peu efficace matériellement mais avait un fort impact psychologique. On savait que le mastodonte pouvait surgir discrètement et sournoisement au-dessus d’une ville au cœur de la nuit. Après la guerre, les Alliés ont empêché l’Allemagne de construire des dirigeables pendant quasi une décennie.

Le zeppelin connaît une renaissance comme transporteur de passagers. Entre 1928 et 1937, le LZ 127 fait voyager plus de 13’000 personnes en près de 600 vols, sur plus d’un million et demi de kilomètres. Le tout sans accident. En 1936, il se fait voler la vedette par le modèle Hindenburg, encore plus gigantesque. Le régime nazi, qui s’est emparé de la société Zeppelin l’année précédente, utilise les dirigeables pour sa propagande en les affublant de croix gammées. Mais en 1937, le Hindenburg s’embrase en phase d’atterrissage aux Etats-Unis. Ce drame spectaculaire et médiatisé fait tomber en disgrâce pour longtemps ce moyen de transport. Le Graf Zeppelin est transformé en musée. Les autres seront détruits par les Allemands au début de la Deuxième Guerre mondiale afin d’en récupérer les matériaux pour leur industrie de guerre.

Références

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Oct 3rd, 2023
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