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Quand la paix mène à la guerre : Goebbels, messager d'Hitler à la SDN

September 29th, 1933
geneveMonde

Le 29 septembre 1933, Joseph Goebbels, alors ministre de la Propagande du Troisième Reich, se rend à Genève pour participer à la XIVe assemblée de la Société des Nations à Genève, présidée par le Sud-Africain Charles Theodore Te Water qui succède à Johan Ludwig Mowinckel, président du Conseil et premier ministre de Norvège.

La guerre, l’Allemagne et la paix de 1919

A la fin de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne qui avait combattu aux côtés de l’empire austro-hongrois, se voit imputer la responsabilité de la guerre (1). L'article 231 du traité de Versailles affirme que seuls le IIe Reich allemand et ses alliés ont été responsables du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les conditions imposées par le traité de Versailles à l’Allemagne sont très dures et ont pour objectif d’affaiblir sa puissance économique et militaire. L'armée allemande est réduite et en grande partie désarmée. L’Allemagne perd 15% de son territoire. La Sarre est placée sous le contrôle de la Société des Nations, tout comme la ville de Dantzig (aujourd'hui Gdansk en Pologne). La Haute-Silésie, d'abord placée très brièvement sous contrôle allemand en 1921, est occupée par la Pologne. Son empire est démantelé et l'Allemagne perd ses colonies, placées par la Société des Nations sous le régime des mandats et administrées par les pays vainqueurs. Enfin, le traité de Versailles lui impose de payer un montant exorbitant au titre des réparations de guerre.

Mis au ban de la communauté internationale, les Allemands développent un sentiment d’aversion pour la Société des nations et le “système de Genève” qu’elle incarne (2). Malgré l’hostilité à l’égard de l’organisation en Allemagne, ce pays intègre la SDN en 1926, un choix de politique étrangère principalement porté par Gustav Stresemann, issu de la gauche modérée et ministre des Affaires étrangères.

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Admission de l'Allemagne à la Société des Nations
September 8th, 1926
Admission de l'Allemagne à la Société des Nations

La réintégration de l’Allemagne dans le concert des nations européennes ne signifie pas pour autant une adhésion à l’esprit de paix de Genève. La majorité des Allemands voient en effet dans la SDN surtout un espoir de modifier les conditions de paix sévères qui leur ont été imposées par le traité de Versailles. L’hostilité toujours présente au sein de l’opinion publique, en particulier du côté de la droite nationaliste, et l’incapacité de l’Allemagne à défendre ses intérêts en matière d’armements et de révision des frontières poussent plusieurs factions politiques à exiger le retrait de l’Allemagne de la Société des nations avant même l’arrivée au pouvoir d’Hitler.

Dès son entrée à la SDN, l’Allemagne a souhaité qu’une conférence internationale sur le désarmement ait lieu. En 1919 à Paris, promesse lui avait été en effet faite que son désarmement obligatoire serait le prélude à un désarmement global (3). Elle exigeait ainsi que la SDN tienne ses promesses. La stratégie de l’Allemagne a donc été de promouvoir un plan de désarmement mondial dans le cadre de la SDN et de faire appliquer les principes d’égalité de traitement à son égard. L’Allemagne était en effet le seul pays à être désarmé et se sentait à la merci de ses voisins. Si les autres puissances européennes ne parvenaient pas à se mettre d’accord, l’Allemagne revendiquait le droit d'acquérir les armements que les autres refusaient de céder. Cette position a été clairement exprimée lors de la Conférence sur le désarmement de la SDN en 1932.

Face aux résistances de la France et de la Grande-Bretagne, les Allemands deviennent de plus en plus hostiles à l’égard de la SDN et intransigeants sur la question du désarmement, un changement d’attitude qui s’opère avant l’accès au pouvoir d’Hitler en 1933.

Les craintes d’un réarmement de l’Allemagne en dehors de tout accord international sur le désarmement rendait plus que jamais nécessaire la poursuite du dialogue avec le nouveau gouvernement du chancelier Hitler. Le 25 juillet 1933, Arthur Henderson, président de la conférence sur le désarmement, et Thanassis Aghnides, diplomate grec et secrétaire de la Conférence, rencontrent Hitler à Münich. Le compte-rendu de cette rencontre, retrouvé dans les archives privées de Thanassis Aghnides, confirme la radicalisation des positions allemandes. Aghnides écrit ainsi: “L’Allemagne avait besoin d’être défendue aussi bien que n’importe quel autre pays.” (4) Hitler, qui souhaitait se débarrasser de ses engagements envers la SDN, accepte néanmoins d’envoyer une délégation allemande à la prochaine assemblée générale de la SDN de septembre 1933.

Goebbels à Genève

Hitler envoie Joseph Goebbels à Genève pour rassurer les membres de la Société des Nations et démentir les rumeurs sur le réarmement de l’Allemagne et les violences commises à l’encontre des minorités juives et slaves.

On ne sait peut-être pas assez que Joseph Goebbels, docteur en philologie, membre du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) depuis 1924 - le parti politique dirigé par Adolf Hitler depuis 1921 - était aussi chroniqueur pour plusieurs journaux allemands. L'une des principales cibles de Goebbels était Gustav Stresemann, représentant de l'Allemagne à la Société des Nations. En octobre 1929, juste après la mort de Stresemann, Goebbels avait ainsi déclaré au Berliner Kriegervereinhaus:

“Ils viennent d'enterrer Stresemann comme s’il avait été le sauveur de l'Allemagne. Mais en réalité qu’a-t-il fait cet homme. Quelquefois par an il est allé à Genève. Là, dans cette boutique à bavardages qui se nomme S.D.N. il a négocié avec les représentants de la France assoiffée de rapines, avec des agents des pays enjuivés, et même avec les délégués d'Etats nègres, sur des problèmes vitaux pour l’Allemagne.” (5)

En 1932, dans un discours prononcé au Lustgarten, Goebbels exprime encore plus clairement l’opposition du NSDAP à l’égard de la politique du désarmement de la SDN:

"Quand nous, nationaux-socialistes, nous formerons le Gouvernement de notre patrie allemande, la comédie genevoise ne tardera pas à cesser. Il en sera fini avec cette ratatouille écoeurante de séances de Conseil, de délibérations de commissions et de conférences de désarmement.[...] Nous exigerons notre simple droit et nous le prendrons.” (6)

Ses interventions témoignent des attaques portées par le NSDAP à l’encontre de la SDN et éclaire plus largement sur le racisme et l’antisémitisme virulents des membres du parti. Arrivé à Genève le 29 septembre, Goebbels participe à l'assemblée générale de la SDN qui se tient le lendemain et profite de sa présence à Genève pour galvaniser les membres de la section locale nazie (7).

Parler de la paix et préparer la guerre

Dans l'émission "C'était hier", diffusée le 1er décembre 1969 à la Télévision suisse romande, un document d'archive des "Actualités suisses" du Ciné-Journal, datant du 29 septembre 1933, montre la visite du ministre de la Propagande du IIIe Reich à la Société des Nations. On y voit un Goebbels confiant sur la volonté allemande de maintenir la paix en Europe:

«Le peuple et le gouvernement allemand veulent la paix, car ils sont persuadés qu’une guerre ne serait pas seulement désastreuse pour l’Allemagne, mais serait aussi une catastrophe pour l’Europe entière.» (8)

A la conférence, Goebbels rappelle la position allemande défendue depuis 1926, à savoir qu’il ne peut y avoir de paix sans désarmement général. L’édition du 30 septembre 1933 du Journal de Genève rend compte du discours de Goebbels prononcé lors de la XIVe Assemblée de la SDN. Selon le quotidien (9), le discours de Goebbels fut "un long et habile plaidoyer" pour rappeler que le NSDAP était arrivé au pouvoir en Allemagne par des moyens légaux, avec des scores très larges, le peuple s’étant rallié au parti nazi à plus de 75%. Goebbels balaie ainsi les accusations portées contre l’Allemagne à l’égard de la politique de répression systématique des opposants politiques.

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Goebbels à la Société des nations en 1933
1933
Goebbels à la Société des nations en 1933

Goebbels réfute également les accusations d’antisémitisme qui parviennent, via une série de pétitions, à la Section des minorités de la Société des nations (10). Le cas de la Haute-Silésie (à cheval entre l’Allemagne et la Pologne) est à ce titre très intéressant. En vertu d'un traité germano-polonais signé après la Première Guerre mondiale, la Société des nations était compétente pour assurer la protection des citoyens de ce territoire. Concrètement, elle a joué le rôle de rempart à la discrimination nazie pour les Juifs de la majeure partie de la Haute-Silésie. Des centaines de Juifs ont pu ainsi utiliser le droit international pour contester la répression antisémite nazie, à l’instar de Franz Bernheim, citoyen juif d’Allemagne. Grâce aux nombreuses pétitions envoyées à la SDN, comme en témoigne l’archive ci-dessous, les dirigeants juifs de Haute-Silésie ont obtenu de l'Allemagne nazie une concession juridique exceptionnelle : de 1934 à 1937, toutes les lois antisémites ont été déclarées nulles et non avenues 11).

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Accord germano-polonais sur la Haute-Silésie
June 6th, 1933
Accord germano-polonais sur la Haute-Silésie

Évoquant ensuite le rôle de l’Allemagne en Europe, Goebbels soutient que l'hitlérisme allemand, porteur d’un ordre social et économique nouveau incarné par la Führer, au fondement de l’État socialiste-racial, populaire et unifié autour d’un parti unique, est un modèle, un “boulevard de l’ordre” pour l’Europe menacée par le bolchévisme, affaiblie par quatre années de guerre et une crise économique et sociale majeure qui a fait des millions de chômeurs en Europe. L’Allemagne avait d’ailleurs été particulièrement touchée avec 5 millions de chômeurs en 1930. Au chaos général en Europe, le national-socialisme allemand promet ainsi l’ordre. Enfin, abordant la question du réarmement de l'Allemagne, Goebbels réaffirme lors de la conférence l'engagement de l’Allemagne à “l'œuvre d'apaisement esquissée dans les coulisses de l'Assemblée”, tout en exigeant le droit de se réarmer pour sa sécurité et “parfaire sa reconstruction nationale”.

Quelles qu’aient été les intentions réelles d’Hitler à ce moment-là, il est clair que la participation de l’Allemagne aux activités de la Société des nations et plus précisément aux négociations internationales sur le désarmement la plaçait face à des contradictions profondes, voire insurmontables. Si l’Allemagne souhaitait redevenir une puissance européenne légitime, elle ne cachait pas ses ambitions expansionnistes. Bien que membre de la Société des nations, elle ne cachait pas non plus son aversion pour cette organisation qui incarnait pour elle l’injustice et lui rappelait sans cesse sa culpabilité. Un sentiment que Hitler n’eut aucun mal à exploiter. Enfin, sur le plan du désarmement, si dans le discours, l’État national-socialiste semblait partager la volonté de la SDN d’assurer la sécurité collective en Europe, c’était pour mieux affirmer son droit à la défense nationale, un aspect central de sa politique étrangère. Cette politique était inacceptable pour la France et la Grande-Bretagne. Face à l’impossibilité de faire accepter ses revendications, quelques jours après la visite de Goebbels, le 14 octobre 1933, l'Allemagne notifie son retrait de la Conférence sur le désarmement et de la Société des Nations, ruinant les efforts de coopération internationale dans ce domaine. Deux ans plus tard, Hitler rend officielle la politique de réarmement de l’Allemagne.

Texte : David Glaser et Véronique Stenger

Légende photo: de gauche à droite: Friedrich von Keller, Joseph Goebbels, Konstantin von Neurath membres de la délégation allemande. La photo a été prise dans la salle de l'Assemblée générale de la Société des nations en 1933.

Références :

  1. Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix. Paris, Arthème Fayard, 1920.
  2. Jean-Michel Guieu,"Les Allemands et la Société des Nations (1914-1926)”, Les cahiers Irice, 2011/2 (n°8), pp. 61-90.
  3. The League of Nations in Retrospect. Proceedings of the Symposium organized by the United Nations Library and the Graduate Institute of International Studies, Geneva, 6-9 November 1980, p. 121.
  4. Archives privées Thanassis Aghnides. Archives de la Bibliothèque des Nations Unies, Genève.
  5. "Le Dr. Goebbels et la S.D.N.". Extraits de discours. Archives de la Bibliothèque des Nations Unies, Genève.
  6. Ibid.
  7. <blog.nationalmuseum.ch/fr/2021... Vuilleumiereve>/
  8. https://notrehistoire.ch/entries/VJ78rDnYEln
  9. https://www.letempsarchives.ch/page/JDG_1933_09_30/3/article/5912924/goebbels
  10. Sur les activités de la Section des minorités de la SDN, voir Roser Cussó, « La défaite de la sdn face aux nationalismes des majorités : la Section des minorités et l’irrecevabilité des pétitions "hors traité" », Études internationales, 44(1), 2013, pp. 65–88; Carole Fink. « Defender of Minorities : Germany in the League of Nations, 1926-1933 », Central European History, 5, 1972, pp. 330-357.
  11. Brendan Karch, “A Jewish "Nature Preserve": League of Nations Minority Protections in Nazi Upper Silesia, 1933-1937”, Central European History, 46(1), 2013, pp.124-160.
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