Les bâtisseurs de la paix : Winston Churchill applaudit la mission du CICR
Les bâtisseurs de la paix : Winston Churchill applaudit la mission du CICR
Au sortir de la deuxième Guerre, Sir Winston Churchill, ancien Premier ministre britannique de 1940 à 1945, est venu au Bâtiment électoral de Genève pour visiter l'Agence centrale des prisonniers de guerre du Comité international de la Croix-Rouge. Il a prononcé ce discours archivé par le Comité au CICR, dans un cadre privé, au domicile de Martin Bodmer, vice-président du CICR lors d'un déjeuner. Etaient présents plusieurs membres du CICR, dont le président Max Huber. Churchill lors de cette visite de 1946 n'avait pas été reçu au siège du CICR. À cette époque, il était le chef de l'opposition conservatrice de son pays.
Voici le verbatim du discours prononcé par Winston Churchill à cette occasion :
"Mesdames et Messieurs,
Je vous suis très reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de voir les grandes lignes du travail du Comité international de la Croix-Rouge à son siège de Genève. Je n'ai pas besoin de dire combien j'apprécie l'accueil aimable qui m'a été réservé dans les rues, dans tous les villages que j'ai traversés, par toutes les classes de la population et combien je vous remercie de votre hospitalité.
On a dit que les fondateurs du Comité international de la Croix-Rouge ont été peu remerciés, j'ai vu dans un article que dans un grand dictionnaire d'histoire européenne leurs noms n'étaient même pas mentionnés. Mais ceux qui s'y connaissent en la matière ne manqueront pas d'honorer M. Dunant, M. Moynier et le général Dufour, pionniers dans les années soixante du siècle dernier. Ils ont tous été bénis par une longue vie et, si c'est une bénédiction, par la vieillesse. Nous ne devons pas les sous-estimer, car leurs bons arguments sont souvent contrés par de mauvais arguments sous des formes captivantes. Par exemple, on a dit "comment humaniser la guerre ?", comment empêcher la guerre. Puis on a dit : "Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'impartialité ?" Et ainsi de suite. Cependant, la force de cette opposition s'est estompée devant la persistance et la persévérance des pionniers qui ont triomphé par la qualité de leur esprit, mis en avant par Dunant dans sa célèbre déclaration qui élevait le blessé au rang de "chose sacrée", de "chose à part", détachée de toutes les formes de tragédies et de querelles humaines, dans la Grande Guerre de 1914-1918, - ce qu'il faut bien appeler aujourd'hui la "Guerre précédente" -, la plus grande extension a été donnée à l'œuvre du Comité international de la Croix-Rouge. Le soin des prisonniers de guerre fut pris en charge, et ce travail devint de la plus haute importance tout au long de cette guerre.
Dans les âges passés, l'Europe était unie par de nombreux liens : il y avait les Romains, il y avait l'Empire de Charlemagne, il y avait les liens de la chrétienté, il y avait les liens aristocratiques qui étaient cosmopolites, la grande association des maisons régnantes qui, au temps de la reine Victoria, donnait quelque chose de commun entre les pays, mais tous ont disparu à présent. Il y avait ensuite la chevalerie dans la guerre, qui semble d'une certaine manière déguiser sa culpabilité, et qui a été observée dans les guerres des XVIIe et XVIIIe siècles, mais tout a disparu dans ce terrible XXe siècle. Toutes les relations ont été brisées entre les armées adverses ; entre les nations engagées dans la guerre, il n'y a eu aucun point commun. Il n'y a jamais eu un tel état diabolique de destruction de tous les points de contact humains, et du caractère de ces deux conflits les plus terribles dans lesquels l'homme a été engagé. Mais une chose a été préservée, et ce entre les nombreuses nations, pas parfaitement préservée, c'est le travail du Comité international de la Croix-Rouge vu comme une grande force efficace.
J'espère très sincèrement que Genève prospérera
et s'épanouira, et qu'elle sera toujours le centre d'idées calmes, éclairées et inspirantes, qui, si elles ne peuvent épargner à l'humanité les conséquences de ses crimes et de ses folies, peuvent au moins atténuer ses pires excès...
C'était une plateforme, la seule plateforme entre les lignes de combat où les hommes pouvaient se rencontrer, reconnaître leur humanité commune et la valeur d'un code international de lois et de conventions. Une grande réussite a été accomplie ; c'est un témoignage de l'esprit de ceux qui ont consacré leur vie à cette tâche, et c'est une réussite suisse - une réussite suisse avant tout, et qui montre que la préservation d'un esprit sain d'indépendance ne signifie pas nécessairement l'absence d'intérêt pour la fortune et les affaires des autres moins fortunés. Je suis sûr que j'admire beaucoup l'ampleur de votre travail. Il y a des jours où l'espoir et la confiance jaillissent avec force, il y a des jours où le sentiment de déception est vif du fait que, tant de choses ayant été gagnées, si peu de résultats ont apparemment été présentés. Il y a des jours où l'on ne peut pas ressentir ce que l'on ressentait après la dernière guerre, mais les facteurs moraux sont à la hausse et il n'y a pas de grandes forces organisées qui pourraient changer la marche en avant de la civilisation. Mais je suis sûr d'une chose : on ne peut demander à personne de faire plus que sa part, et tous ceux qui ont contribué à cette construction du Comité international de la Croix-Rouge, en travaillant comme des guides internationaux, s'efforceront de préserver toutes les coutumes civilisées qui peuvent régler les affaires et même les querelles de l'humanité égarée qui se torture. Ils joueront un rôle honorable et précieux dans ce monde, et pourront s'endormir la conscience tranquille après avoir accompli une bonne journée de travail.
Je ne peux pas terminer ces quelques remarques que je me risque à vous offrir, sans dire combien je suis d'accord avec ce que Max Huber a dit à la fin de son discours, au sujet de la noble ville de Genève, avec tout le climat d'opinions qu'elle a conservé au cours de tant de siècles, j'espère très sincèrement qu'elle prospérera et s'épanouira, et qu'elle sera toujours le centre d'idées calmes, éclairées et inspirantes, qui, si elles ne peuvent épargner à l'humanité les conséquences de ses crimes et de ses folies, peuvent au moins atténuer ses pires excès et préserver cette étincelle d'inspiration humaine, sans laquelle l'humanité sombre plus bas que les animaux.
Photo : Winston Churchill avec Max Huber (président du CICR entre 1928 et 1944) à Genève en 1946 (Archives du CICR)
Discours de Churchill avec l'aimable autorisation des Archives du CICR.
Merci à Monsieur Daniel Palmieri, historien du CICR et Fabrizio Bensi, archiviste du CICR.
IN ENGLISH :
Sir Winston Churchill, former British Prime Minister from 1940 to 1945, came to Geneva in 1946 to visit the ICRC'S Central Prisoners of War Agency. This speech was made in a private setting - at Martin Bodmer's home, during a luncheon - in the presence of ICRC members, including the president Max Huber. Churchill had not been received at ICRC headquarters, although he had visited the Central Prisoners of War Agency in the former "election building" before lunch. In September 1946. At that time he was the leader of the conservative opposition in his country.
Here's the address by Winston Churchill on this occasion :
"Ladies and Gentlemen,
I am most grateful to you for giving me the opportunity of seeing the outlines of the work of the International Committee of the Red Cross at its capital centre in Geneva, I need scarely say how much I value the kindly reception I have been given in the streets, in all the villages I passed, by all classes of the population and also how much I thank you for your hospitality.
It has been said that little gratitude was shown to the founders of the international Committee of the Red Cross, I saw in an article that in a large dictionary of European history their names were not even mentioned. But those who know about these things will over honour M. Dunant, M. Moynier and General Dufour, pioneers in the sixties of the last century. They were all blessed with long life and if it’s a blessing -, with old age. They toiled faithfully and enjoyed in their old days the very great results obtained We must not underrate them, for their good arguments are often countered by bad arguments in captivating forms. For instance, it has been said How can you humanize war ? Prevent war. Then it was said : What is this about being impartial ? And so on However, the force of this opposition has all faded away before the persistance and perseverance of the pioneers who triumphed by the quality of their spirit, put forward by Dunant in his famous statement which elevated the wounded man as something sacred, something apart, detached from all forms of human tragedy and quarrels, in the Great War l9l4-l918, - what we must now call the “Previous War", - the greatest extension was given to the work of the International Cormmittee of the Red Cross. The care of the prisoners of war was taken up, and that work became of the utmost consequence throughout this war.
In bygone ages, Europe was linked by many ties together there were the Romans, there was the Empire of Charlemagne, there were the bonds of Christendom, there were aristocratic ties which were cosmospolitan, the great association of reigning houses which in the days of Queen Victoria gave something in common between countries, but all have disappeared this time. There was then chivalry in war, which seems in a. way to disguise its guilt, and was observed in the wars of the 17th and 18th centuries, But all has vanished in this terrible 20th century. All relations have been shattered between opposing armies; between nations engaged in the war, there has been no point in common. There never has been sucha devilish state of destruction of all points of human contact, and the character of these two most terrible conflicts in which man has been engaged. But one thing has been preserved and that is between the many nations, - not perfectly preserved but as great effective force, namely the work of the International Committee of the Red Cross.
I sincerely hope that Geneva will prosper and flourish and flourish, and that it will always be the center of calm, enlightened and inspiring ideas, which, if they cannot spare humanity the consequences of its crimes and follies, can at least mitigate its worst excesses...
It was a platform, the only platform between the lines of battle men could there meet together and recognize their common humanity and the value of an international code of law and convention. A great achievement has been reached; it is a warrant of the spirit of those who devoted their life to this task, and it is a Swiss achievement, - a Swiss achievement primarily, and one which shows that the preservation of a healthy spirit of independance does not necessarly mean absence of interest in the fortune and affairs of others less fortunate. I am sure I greatly admire the scope of your work. There are days when hope and confidence spring very strongly, there are days when the sense of disappointment is keen that, so much having been gained, so little results should apparently have been presented. There are days when you cannot feel what you did after the last War but the moral factors are in the ascendence and there are no great organized forces which could change the onward march of civilization. But this I am sure: that no one can be asked to do more than their part, and everyone who has helped this building up of the International Committee of the Red Cross, working as international guides, will endeavour to preserve all civilized customs which can regulate the affairs and even the quarrels of misguided se1f-torturing humanity. They will be playing an honourable and valuable part in this world, and may go to sleep with an easy conscience after a good day, work is done.
I cannot end these few remarks which I venture to offer to you, without saying how much I agree with what Mr. Huber said at the end of his speech, about the noble city of Geneva, with all its climate of opinions which it has preserved over so many centuries, I hope most honestly it will prosper and flourish, and ever be the centre of calm, enlightened and inspiring ideas, which while they cannot spare mankind the consequence of its crimes and follies, may at least mitigate its worst excesses and preserve that spark of human inspiration, without which humanity sinked lower than the animals.
Photo : Winston Churchill with Max Huber (president of the ICRC between 1928 and 1944) in Geneva in 1946 (ICRC Archives)
Churchill's speech courtesy of the ICRC Archives
Thanks to Daniel Palmieri and Fabrizio Benzi from th ICRC.
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