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Quand un délégué italien à la SDN amerrissait dans la rade de Genève

Quand un délégué italien à la SDN amerrissait dans la rade de Genève

November 17th, 2014
geneveMonde

Abandonné dans un bac aux Puces de Plainpalais, un album de photos racontant par l’image la vie d’une famille sans nom, sans domicile, sans indication particulière; rien n’est écrit ni au pied des photos, ni à leur verso. Seule une photographie de cet album porte une information, écrite au crayon : "septembre 1928". L’image a été prise d’une barque, son bord est visible. D’autres barques entourent l’hydravion posé sur un plan d’eau, devant des immeubles bourgeois. C’est un événement, des badauds se sont rassemblés sur les quais. Mais sur quel quai ? Un indice nous fait signe: au sommet d’une tourelle de l’immeuble en arrière-plan, un ange. Plus exactement un aigle, celui de la Maison Royale, aux Eaux-Vives à Genève, construite en 1909 par les architectes Henri Gacin et Charles Bizot (cet aigle impérial sera déposé en 1965). Nous sommes donc dans la rade de Genève, en septembre 1928. Les archives numérisées du Journal de Genève prennent le relais : dans son édition du mardi 28 août, une brève relate la venue du commandant Aldo Pellegrini (1888-1940) , délégué italien à la commission de désarmement de la Société des Nations, arrivé « à Genève dimanche à bord d’un hydravion. L’aviateur, qui venait de Rome, avait fait escale sur le lac Majeur, d’où il était reparti à 10h. A son arrivée à Eaux-Vives plage, le commandant Pellegrini a été reçu par le capitaine Weber. »

Claude Zurcher
Brève du Journal de Genève 28.08.28
Brève du Journal de Genève 28.08.28

Les formalités douanières sont levées en quelques minutes, précise le Journal. Quant à l’hydravion immatriculé I-REOS, il s’agit d’un appareil Dornier Do.R4 Superwal équipé de quatre moteurs Siemens Jupiter VI. A bord, quatre hommes d’équipage et jusqu’à dix-neuf passagers. L’engin sera garé dans le port de Corsier, mais en attendant, sa surveillance a été « confiée à la police et le poste permanent des pompiers a placé deux falots sous les ailes pour éviter toute collision avec des embarcations. »

L'attitude positive de Mussolini

L’arrivée d’Aldo Pellegrini à Genève en 1928 nous rappelle le rôle historique joué par l’Italie fasciste dans l’élaboration d’une politique internationale de sécurité collective sous l’égide de la Commission préparatoire de la Conférence du Désarmement de la Société des Nations. Les archives de la Société des Nations indiquent que Pellegrini était en fait membre de la Commission permanente consultative pour les questions militaires, navales et aériennes, l’une des sous-commissions de la Commission préparatoire de la Conférence du Désarmement.

Claude Zurcher
Aldo Pellegrini
Aldo Pellegrini

Chef de Cabinet au Ministère italien de l’aéronautique, Pellegrini agissait en qualité de délégué du gouvernement de Benito Mussolini, une fonction qu’il quitta en 1937, année du retrait de l’Italie de la Société des Nations. Malgré des relations mouvementées avec la Société des Nations depuis 1922 (crise de Corfu en 1923, Crise d’Abyssinie en 1935), Mussolini adopta une attitude positive à l’égard des actions de la SDN en faveur du désarmement international, dans lesquelles il voyait surtout un moyen d’empêcher le réarmement de l’Allemagne et de présenter, sur la scène internationale, une image positive du régime. Pellegrini y contribua en soutenant des propositions en faveur du désarmement aérien. La photo de l’hydravion piloté par Pellegrini nous rappelle aussi la fascination croissante de la société occidentale pour l'aviation civile dans les années d’après la Première Guerre mondiale. L’aviation n’était pas seulement une arme. On lui prêtait aussi un pouvoir de transformation formidable des relations internationales, du fait de sa capacité à transcender les frontières nationales et la nature apolitique (du moins en apparence) des aviateurs. L’Italie fasciste avait depuis la fin de la guerre investi dans le développement de ses programmes aéronautiques, tant civils que militaires, dans lesquels Mussolini voyait un instrument de développement économique et un moyen de gagner un prestige international. Quelques mois avant la venue de Pellegrini à Genève, en avril 1928, la Compagnie nationale aéronautique italienne avait inauguré le nouvel aérodrome civil international à Littoro et s’était empressée d’inviter pour l’occasion la Commission des communications et du transit de la Société des Nations. Cette dernière, alors soucieuse de stimuler le développement de la navigation aérienne entre Genève et les différentes capitales du monde, avait accepté l’invitation, malgré les questions politiques que soulevait alors le programme aéronautique italien. La délégation de la SDN fut accueillie par Pellegrini au Ministère de l’aéronautique et rencontra à cette occasion Mussolini et le pilote Italo Balbo, secrétaire d’État à l’aviation et membre du parti fasciste.

Sur une bouée dans la rade

Deux mois plus tard, au large du quai des Eaux-Vives, une bouée aux couleurs genevoises sera placée, tenue par « une forte chaîne scellée dans un bloc de béton » pour servir à l’amarrage des hydravions. Sur notreHistoire.ch d’autres photos témoignent de la présence d’hydravions dans la rade, une pratique qui sera interdite vingt en plus tard, le 28 janvier 1948, quand entrera en vigueur l’arrêté du conseil d’Etat genevois. Aucun hydravion ne se posera dans la rade, ni dans le petit lac jusqu’à une ligne tracée entre la pointe d’Hermance et l’embouchure de la Versoix. Si les Genevois assistent en curieux à la scène, en ce dimanche 26 août, il en va autrement en Corse. Trois jours plus tôt, le jeudi, trois hydravions italiens survolèrent Bonifacio à une très faible altitude, entre 100 et 150m, sans doute pour y « prendre des photographies de points stratégiques », précise le Journal de Genève qui évoque « la population très émue par cette opération ». Et le commandant Pellegrini ? Héros de la Grande Guerre et aviateur chevronné, il devient général d’escadre aérienne et participe aux croisières aériennes organisées par le ministre de l’Air, notamment le raid Rome-Chicago en 1933. Il meurt dans le crash de son avion, survenu pour une raison inconnue le 7 décembre 1940, près d’Acqui. Ce vol militaire, avec à son bord le général Pintor et des membres de la commission italienne d’armistice, effectuait la liaison Rome-Turin. Une rue du quartier de Piccarello, à Latina, porte son nom.

Claude Zurcher, collaboration Véronique Stenger

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