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Les mondes de la paix.  Nelson Mandela à l’OIT en 1990. Récit

1990
Conférence internationale du travail, OIT Genève
Archives de l'OIT
geneveMonde

Après avoir passé 27 ans en prison pour s'être opposé au régime de l'apartheid en Afrique du Sud, Nelson Mandela a consacré le reste de sa vie à la lutte pour la paix et le respect des droits humains en Afrique du Sud et dans le monde. En 1990, lors de sa 77e session, la Conférence internationale du travail de l’OIT accueille Nelson Mandela, alors vice-président du Congrès national africain (ANC), parti politique de l’élite noire créé en 1912 et fer de lance de la lutte anti-apartheid. Dans son discours à l’OIT, Nelson Mandela fait de la fin de l’apartheid le gage de la paix en Afrique du Sud et dans le monde.

Les organisations internationales et le régime d’apartheid sud-africain

L’Afrique du Sud est un pays qui a une longue tradition internationaliste, qui remonte à l’après-Première Guerre mondiale. Colonie britannique qui acquiert en 1910 le statut de dominion au sein du Commonwealth, l’Union d’Afrique du Sud est un membre fondateur de la Société des nations en 1919, une position qu’elle doit à sa participation à la Première Guerre mondiale aux côtés des pays de l’Entente. En tant que membre fondateur de la SDN, elle reçoit la Namibie, ancienne colonie allemande, en mandat. Elle adhère également à l’Organisation internationale du travail la même année. (1)

Durant l’entre-deux-guerres, l’Union d’Afrique du Sud est peu visible sur la scène internationale, comme la plupart des pays extra-européens qui pèsent alors peu dans les relations internationales; une situation qui évoluera avec la vague de décolonisation après la Seconde Guerre mondiale. Ancienne colonie, l’Union d’Afrique du Sud a néanmoins cherché à tirer avantage de sa représentation indépendante pour renforcer la présence (et le pouvoir) des colonies au sein des organisations internationales. En 1921, à la conférence internationale du travail, le délégué des travailleurs Archibald Crawford soumet ainsi un amendement au projet de réforme du Conseil d’administration de l’OIT alors en discussion, où il défend les principes d’équité en faveur des territoires dépendants (2). A cette époque, l’Union d’Afrique du Sud connaît déjà des tensions entre les Afrikaners, élites blanches d’origine néerlandaise, française, allemande ou scandinave et les élites noires. Jusqu’en 1948, année de la mise en place officielle de l’apartheid, les politiques économiques et sociales de l’Union d’Afrique du Sud sont plus ou moins ségrégationnistes.

Malgré le racisme inhérent à sa politique intérieure, après la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique du Sud devient membre de plusieurs organisations internationales. Le jeu des alliances au cours de la guerre froide et l’importance stratégique de l’Afrique du Sud sur le continent africain et sur l’échiquier énergétique global sont les raisons pour lesquelles la plupart des puissances occidentales, la Suisse y compris, ont renoncé à une condamnation forte de l’Afrique du Sud et de son régime d’apartheid. L’importance de ses ressources en uranium en fait d’ailleurs un pays puissant au sein de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, créée en 1957 (3). La condamnation internationale du racisme ouvre cependant une ère de contestations fortes du régime d’apartheid, en particulier au sein des pays dits “en voie de développement” et en URSS. En conséquence, l’Afrique du Sud se retire de l’UNESCO en 1956. Le Conseil d’administration de l’OIT décide en 1963 d’exclure l’Afrique du Sud de certaines Commissions d’industrie. En 1964, l’OMS lui retire son droit de vote. En 1965, l’Afrique du Sud quitte l’Union internationale des télécommunications et une année plus tard l’OIT. Ce n’est qu’en 1977 que l’Afrique du Sud perd son siège à l’AIEA. A partir des années 1960, l’Afrique du Sud devient ainsi une sorte de paria dans le monde des organisations internationales. Ce n’est qu’après l’abolition du régime d’apartheid en 1991 qu’elle retrouve une légitimité au sein de l’ONU.

Nelson Mandela et la lutte pour les droits humains

Alors qu’il est emprisonné à vie par le régime en 1964, Nelson Mandela devient un symbole fort au sein du mouvement international anti-apartheid qui est alors en train de se développer. Libéré en 1990, il consacre le reste de sa vie à la lutte pour l’abolition du régime d’apartheid en Afrique du Sud et pour les droits humains dans le monde. Lorsqu’il arrive à Genève en 1990 pour participer à la Conférence internationale du travail, Nelson Mandela est alors en négociation avec le gouvernement de Frédéric de Klerk pour mettre fin au régime de l’apartheid et poser les premières pierres d’un régime démocratique en Afrique du Sud.

Lors de son discours à l’OIT, Nelson Mandela rend hommage à l’OIT pour sa participation à la lutte contre l’apartheid mais lui demande aussi de renouveler ses efforts pour garantir le développement démocratique et pacifique de l’Afrique du Sud (4). Érigeant l’apartheid au rang de crime contre l’humanité, Nelson Mandela cherche aussi la réconciliation et surtout à construire l’avenir de l’Afrique du Sud. Il déclare ainsi: “Il faudra veiller à ce qu'en Afrique du Sud, tout comme en Allemagne après la seconde guerre mondiale, soient créées des institutions démocratiques capables de mettre un terme au terrorisme raciste et de l'empêcher à jamais de redresser la tête.” Il conclut plein d’espoir: “Mon pays ne sera plus une menace pour la paix, il ne fera plus horreur au monde”. (5)

Changer le traitement des prisonniers: l’héritage international de Nelson Mandela

L’héritage du combat de Nelson Mandela a résonné bien au-delà de l’Afrique du Sud. Sa lutte inspira le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, les mouvements d’égalité pour les femmes et la reconnaissance des droits à l’éducation dans le monde. Il fut également une source d’inspiration pour les jeunes. En 1993, Nelson Mandela reçoit le prix Nobel de la Paix, conjointement ave Frédéric Fink, pour leurs efforts dans l’abolition du régime d’apartheid. Après l’abolition du régime en 1991, l’Afrique du Sud redevient membre de l’OIT en 1994, dix jours après l’élection de Nelson Mandela comme nouveau Président de la République. En juin 2007, l'OIT a décerné son premier Prix annuel pour la recherche sur le travail décent à Nelson Mandela et au Professeur Carmelo Mesa-Lago. En 2009, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 18 juillet, date d'anniversaire de Nelson Mandela, “Journée internationale Nelson Mandela", consacrant cette journée au service public. Mais Nelson Mandela aura surtout durablement marqué la politique internationale en matière des droits humains et des droits des prisonniers.

En 2015, la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale a adopté des révisions importantes des règles pour le traitement des prisonniers, plus connues sous le nom de “Règles Mandela”, en hommage au combat mené par Nelson Mandela. Ces règles ont pour objectif de guider les Etats sur la manière de construire leurs prisons et de les gérer d'une manière qui respecte les droits humains. Dans le domaine de l’isolement des prisonniers, ces règles font œuvre de pionnier puisqu’elles proscrivent l’isolement d’une durée indéterminée et dépassant les 15 jours, considérées comme des pratiques inhumaines et dégradantes. Au regard de ces règles, la Suisse a encore du chemin à parcourir. Selon une étude du Centre suisse de compétences pour les droits humains publiée en 2020, la Suisse pourrait améliorer les conditions de détention, notamment pour les soins médicaux qui restent de moins bonne qualité pour les détenus, en particulier ceux exonérés de l’obligation de contracter une assurance maladie (1). L’étude montre également que l’isolement, qui doit répondre à des règles très strictes selon les “Règles Mandela”, demeure une pratique répandue en Suisse alors qu’elle devrait plutôt être exceptionnelle. La publication de ce rapport prouve que l’héritage de Nelson Mandela résonne encore aujourd’hui.

Véronique Stenger

Légende photo: Nelson Mandela à la Conférence internationale du travail, 1990. Archives de l'OIT, Genève.

Notes

  1. Sara Pienaar, South Africa and International Relations Between the Two World Wars: The League of Nations Dimension, Witwatersrand University Press, 1987.
  2. Conférence internationale du travail, compte-rendu, 1921, p. 554. Archives de l'Organisation internationale du travail, Genève.
  3. Gabrielle Hecht, "Negotiating Global Nuclearities: Apartheid, Decolonization, and the Cold War in the Making of the IAEA", Osiris, 21 (1), 2006.
  4. Discours de Nelson Mandela, CIT, 1990. Archives audio-visuelles, Organisation internationale du travail, Genève.
  5. Ibid.
  6. (6) Jörg Künzli, Alexandra Büchler, Florian Weber, Nelson-Mandela-Regeln, Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH), 17 juin 2020.
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Jun 14th, 2022
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