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«La Conférence de 1973 a joué un rôle important dans la radicalisation des organisations palestiniennes» Featured

December 21st, 2023
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Ozcan Yilmaz est chargé de cours en histoire contemporaine à l’Université de Genève. Ses recherches portent sur l’histoire des relations internationales, du nationalisme kurde, du Moyen-Orient, de l’Empire ottoman et de la Turquie contemporaine. Pour geneveMonde.ch, Ozcan Yilmaz met en perspective les enjeux de la Conférence de Genève de 1973.

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Ozcan Yilmaz, historien, Université de Genève
Ozcan Yilmaz, historien, Université de Genève

geneveMonde.ch - Dans quel contexte historique s’ouvre la Conférence de Genève, le 21 décembre 1973 ?

Ozcan Yilmaz. D’une manière générale, cette conférence est liée au conflit israélo-arabe, engagé dès 1948 entre Israël, les organisations palestiniennes et les Etats arabes. Mais le contexte immédiat est bien sûr celui de la guerre de Kippour, qui s’est déroulée du 6 au 24 octobre 1973, et des questions qui en découlent. Il s’agit notamment du désengagement militaire des belligérants, soit l’Egypte, Israël et la Syrie, de l’avenir des territoires égyptiens et syriens passés sous le contrôle israéliens depuis la victoire de l’Etat hébreu lors de la guerre des Six Jours, en juin 1967, et du maintien du cessez-le-feu.

La question porte aussi sur la délimitation des frontières entre ces Etats et la Jordanie qui a perdu le contrôle de la Cisjordanie au profit d’Israël lors de la guerre de 1967. Il est à noter que lors de la guerre de Kippour, la Jordanie avait apporté son soutien militaire à la Syrie au moment où l’armée israélienne se rapprochait de Damas.

Et quels en sont les enjeux?

La conférence implique l’Egypte, la Jordanie, Israël, la Syrie, les Etats-Unis, l’Union soviétique et l’ONU à travers son Secrétaire général Kurt Waldheim. Pour Israël, l’enjeu essentiel est d’obtenir une reconnaissance de sa légitimité de la part des Etats arabes. Israël compte aussi parvenir à un tracé des frontières reconnues et sécurisées qui tiennent compte de la nouvelle situation. Il n’est plus question de revenir à la ligne de démarcation de 1949 ou à celle de 1967 (Gaza et Cisjordanie resteront sous le contrôle israélien) et les nouvelles frontières doivent permettre à Israël d’être à l’abri des attaques des combattants palestiniens depuis le territoire des Etats voisins.

Tout en affirmant sa solidarité avec le peuple palestinien, l’Egypte cherche en réalité à réhabiliter la fierté nationale, à effacer l’humiliation de la défaite de 1967. A travers ses avancées militaires initiales, elle pense avoir réussi à établir un nouvel équilibre avec Israël. L’Egypte entend impliquer les Etats-Unis dans des négociations pour récupérer le Sinaï et mettre fin au conflit avec Israël qui est devenu synonyme de défaites militaires successives, aux coûts humains et matériel lourds pour le pays.

Le nouveau pouvoir syrien dominé par Hafez al-Assad est dans une approche tout à fait similaire à celle de l’Egypte. Il reste solidaire avec le peuple palestinien, demande la reconnaissance de leurs droits et exige la participation de l’OLP à la conférence. Mais en réalité le pouvoir syrien est plus préoccupé pour l’avenir de ses territoires, le Golan, passé sous le contrôle israélien en 1967. Arrivé au pouvoir à travers le coup d’Etat du 13 novembre 1971, le dirigeant syrien Hafez al-Assad est donc plus concerné par la consolidation de son pouvoir et cherche à stabiliser sa frontière avec Israël. Ayant constaté que les concessions israéliennes sur le Golan seront très minimales, la Syrie se limite à des acquisitions symboliques (récupération de la ville de Quneitra totalement détruite) et boycotte la conférence à cause de l’absence de la participation palestinienne refusée par Israël. Car Israël ne reconnaît pas l’OLP.

Qu’en est-il des deux grandes puissances ?

Pour des raisons différentes, les Etats-Unis et l’Union soviétique sont favorables à la résolution du conflit entre Israël et ses voisins arabes. Les deux grands veulent maintenir la détente et éviter le risque d’affrontements militaires que cet élément local pourrait engendrer entre eux, avec pour conséquences une déstabilisation du système international. Les Etats-Unis et l’URSS n’oublient pas que durant la guerre de Kippour, le pétrole a été utilisé par les pays arabes comme une arme contre Israël et ses alliés.

Pour l’Union soviétique, l’enjeu essentiel est de réduire les coûts des guerres successives de ses alliés arabes tout en évitant leur effondrement et la formation d’un bloc antisoviétique homogène. De leur côté, les Etats-Unis veulent aussi réduire le risque d’un affrontement avec l’Union soviétique que le conflit au Proche-Orient pourrait provoquer. Pour des questions liées à la guerre froide et à leur politique interne, les Etats-Unis sont aussi à la recherche d’une solution pour assurer la reconnaissance et la sécurité d’Israël.

A travers des tensions entre l’Egypte et l’Union soviétique, provoquées par l’expulsion des conseillers soviétiques en juillet 1972, et des déclarations de Sadate sur le rôle que les Etats-Unis peuvent jouer grâce à leur influence sur Israël, les Etats-Unis sont conscients de la volonté de l’Egypte de trouver une solution négociée avec Israël pour récupérer ses territoires, mettre fin à ses guerres successives et se rapprocher des Etats-Unis. Mais ils sont aussi conscients des difficultés de parvenir à un accord global. Les Etats-Unis cherchent à obtenir avant tout un désengagement militaire et entamer un dialogue. C’est le sens de la diplomatie des petits pas de Kissinger.

Les Nations Unies sont présentes dans le conflit depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quand la Grande-Bretagne remit son mandat sur la Palestine en 1948. Cependant, la seule action concrète de l’ONU concernera son travail en faveur des réfugiés palestiniens à travers l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), créé en décembre 1949. De nombreuses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité sur la question des réfugiés palestiniens, des territoires ou d’une recherche de solution pacifique du conflit au Proche-Orient sont restées lettre-morte. Présente dans la conférence de Genève de 1973, l’ONU sera rapidement marginalisée car les négociations se poursuivront sous médiation américaine.

Quelles sont les résultats de la conférence, à court et moyen termes ? Comment placer la conférence de Genève dans sa dimension internationale ?

Dans l’immédiat, la conférence ne débouche sur aucun bilan concret. Sur le plan international, les Etats-Unis et l’Union soviétique manifestent une volonté de privilégier la détente et de ne pas la sacrifier pour un conflit local. Un consensus émerge également entre les deux Etats pour éviter le risque d’un affrontement militaire susceptible de provoquer une guerre nucléaire. Pour rappel, lors de la guerre de 1956 et celle de 1973, il y avait le risque d’une implication militaire des deux grandes puissances.

Cependant, la diplomatie des petits pas de Kissinger fait ses preuves. Les négociations débouchent sur les accords de désengagements militaires entre l’Egypte et Israël en janvier 1974 et entre la Syrie et Israël en mai 1974.

Le patronage américain des négociations encourage Sadate à s’engager plus avant dans la volonté d’un rapprochement avec les Etats-Unis et une réconciliation avec Israël. En novembre 1978, Sadate se rend en Israël. En septembre 1978, sous médiation du Président Jimmy Carter, Menahem Begin et Anouar al-Sadate signent les accords de Camp David qui débouchent sur le traité de paix entre Israël et Egypte signé en mars 1979. Contrairement à un accord interarabe stipulant qu’aucune paix séparée ne peut être signée avec Israël, l’Egypte se réconcilie avec l’Etat hébreux. L’Egypte est alors exclue de la Ligue des Etats arabes qui déplace aussi son siège à Tunis. Mais, à travers ce traité, Sadate met fin à ces guerres successives, récupère le Sinaï et bénéficie d’un soutien financier américain.

Et pour Israël ?

Pour Israël, il s’agit aussi d’une victoire importante. Israël est reconnu par le chef de file du mouvement panarabe. Gaza et Cisjordanie restent sous son contrôle. Et Israël provoque une division entre l’Egypte et la Syrie et le monde arabe. La stabilisation de sa frontière sud permet à Israël de se concentrer sur le nord et lancera, dès juin 1982, l’opération Paix en Galilée et d'obtenir le départ des fédayins palestiniens du Liban.

Pour les Etats-Unis, il s’agit aussi d’une victoire importante. Le rapprochement avec l’Egypte et la paix entre celle-ci et Israël sont très importants pour les objectifs américains concernant la rivalité avec l’Union soviétique dans la région. Pour les Etats-Unis, cette paix est aussi importante pour des raisons de politique interne liée à la sécurité d’Israël.

Au regard de l’actualité depuis le 7 octobre, comment considérer cette initiative de 1973 ?

Les évènements du 7 octobre font partie des conséquences d’un processus à travers lequel le projet d’un Etat palestinien s’éloigne de plus en plus et les mouvements palestiniens sont marginalisés. La conférence de 1973 constitue une étape importante de cette marginalisation. On assiste à une démobilisation des Etats arabes pour la question palestinienne. Les questions comme celle des réfugiés, du statut de Jérusalem, de la colonisation de la Cisjordanie restent non résolues et débouchent sur des frustrations et radicalisations. Cela s’aggrave davantage avec le développement d’un nationalisme religieux et l’échec du processus de paix et de l’Autorité palestinienne.

La conférence de Genève de 1973 et les négociations qui l’ont suivie ont eu comme conséquence la consécration de la séparation des objectifs des Etats arabes et ceux des Palestiniens. Les négociations et les accords ont mis en évidence que tout en maintenant une rhétorique de solidarité avec les Palestiniens, chaque Etat privilégie ses intérêts et par «territoires» entend les siens.

Ces négociations et accords ont aussi eu comme conséquence la fin de l’implication militaire des Etats arabes dans le conflit opposant Israël aux mouvements palestiniens. Le désengagement des Etats arabes a encouragé Israël dans sa volonté de ne plus revenir à la ligne de démarcation de 1949 ou à celle de 1967, ni d’accepter le retour des réfugiés. Il garde son contrôle sur Gaza et Cisjordanie et la question de la colonisation s’ajoute aux précédentes. Tout cela affaiblit les chances d’une solution à deux Etats et celles de la création d’un Etat palestinien.

Qu'en est-il des organisations palestiniennes après la Conférence de Genève?

La conférence et ses suites ont aussi joué un rôle important dans la radicalisation des organisations palestiniennes dans la mesure où cela a abouti à la fermeture de la Palestine aux acteurs palestiniens. Après avoir été chassés de la Jordanie en septembre 1970, les fédayins palestiniens sont chassés du Liban en 1982. Les accords de désengagement militaire sur le Sinaï et le Golan restreignent de manière déterminante leur accès aux territoires palestiniens sous le contrôle israélien. Ce contexte de fermeture radicalise le mouvement palestinien qui poursuit ses attentats spectaculaires déjà engagés par les détournements d’avion ou l’assassinat des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques de Munich, en 1972.

Mais, il s’agit aussi d’une période de marginalisation pour les Palestiniens. Dès la signature de ces accords, le conflit israélo-arabe cesse d’être un conflit interétatique et redevient un conflit israélo-palestinien ou un conflit non conventionnel qui impliquera aussi le Hezbollah dès l’occupation israélienne du Sud-Liban. A partir de 1993, avec l’Intifada, le mouvement palestinien sortira de sa marginalisation. L'Intifada, la chute du mur de Berlin, la guerre du Golfe de 1991, contribuent à une tentative de paix en 1993. Cette tentative a échoué. Les questions de la colonisation de la Cisjordanie, des réfugiés palestiniens, du statut de Jérusalem sont restées sans réponse. L’incompétence et la corruption de l’Autorité palestinienne mise en place en 1994 ont renforcé la frustration et contribué au développement du nationalisme religieux dont le Hamas est devenu le représentant (même s’il n’est pas le seul, il existe notamment une autre organisation comme le Jihad Islamique).

En 1973, l’attaque surprise des forces égyptiennes et syriennes et leurs succès initiaux ont permis notamment à l’Egypte d’imposer un nouveau rapport de force et inciter Israël à accepter une négociation, de faire des concessions pour parvenir à une paix avec l’Egypte.

L’attaque surprise du Hamas et du Jihad islamique du 7 octobre rappelle celles de 1973. L’effet surprise est réel, le dispositif sécuritaire ultrasophistiqué est défaillant, Israël subit des pertes importantes et comme lors de la guerre du Kippour la population est soucieuse par rapport à la sécurité. On pourrait penser que cela aurait comme conséquence de renforcer la recherche de la paix à travers des négociations et des concessions. Cependant, les violences du 7 octobre renforcent davantage le souci de sécurité qui n’incite pas les sociétés à chercher la paix. Les violences de l’opération qui suit marginalisent davantage les Palestiniens. La solution de la question, la création de deux Etats, connue dès le début du conflit, semble s’éloigner davantage.

Propos recueillis par Véronique Stenger

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