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Les mondes de la paix : discours de Nelson Mandela à la 77e Conférence internationale du travail

June 8th, 1990
Nelson Mandela
OIT/ILO

Après avoir passé 27 ans en prison pour s'être opposé au régime de l'apartheid en Afrique du Sud, Nelson Mandela consacre le reste de sa vie à la lutte pour la paix et le respect des droits humains en Afrique du Sud et dans le monde. En 1990, lors de sa 77e session, la Conférence internationale du travail de l’OIT accueille Nelson Mandela, alors vice-président du Congrès national africain (ANC), parti politique de l’élite noire créé en 1912 et fer de lance de la lutte anti-apartheid. Dans son discours à l’OIT, Nelson Mandela fait de la fin de l’apartheid le gage de la paix en Afrique du Sud et dans le monde.

Les organisations internationales et le régime d’apartheid sud-africain

L’Afrique du Sud est un pays qui a une longue tradition internationaliste, qui remonte à l’après-Première Guerre mondiale. Colonie britannique qui acquiert en 1910 le statut de dominion au sein du Commonwealth, l’Union d’Afrique du Sud est un membre fondateur de la Société des nations en 1919, une position qu’elle doit à sa participation à la Première Guerre mondiale aux côtés des pays de l’Entente. En tant que membre fondateur de la SDN, elle reçoit même la Namibie, ancienne colonie allemande, en mandat. Elle adhère également à l’Organisation internationale du Travail la même année.

Durant l’entre-deux-guerres, l’Union d’Afrique du Sud est peu visible sur la scène internationale, comme la plupart des pays extra-européens qui pèsent alors peu dans les relations internationales ; une situation qui évoluera avec la vague de décolonisation après la Seconde Guerre mondiale. Ancienne colonie, l’Union d’Afrique du Sud a néanmoins cherché à tirer avantage de sa représentation indépendante à l’OIT pour renforcer la présence (et le pouvoir) des colonies au sein des organisations internationales. En 1921, à la Conférence internationale du travail, le délégué des travailleurs Archibald Crawford, soumet ainsi un amendement au projet de réforme du Conseil d’administration de l’OIT alors en discussion, où il défend les principes d’équité en faveur des territoires dépendants. A cette époque, l’Union d’Afrique du Sud connaît déjà des tensions entre les Afrikaners, élites blanches d’origine néerlandaise, française, allemande ou scandinave et les élites noires. Jusqu’en 1948, année de la mise en place officielle de l’apartheid, les politiques économiques et sociales de l’Union d’Afrique du Sud sont plus ou moins ségrégationnistes.

Malgré le racisme inhérent à sa politique intérieure, après la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique du Sud devient membre de plusieurs organisations internationales. Le jeu des alliances au cours de la guerre froide et l’importance stratégique de l’Afrique du Sud sur le continent africain et sur l’échiquier énergétique global sont les raisons pour lesquelles la plupart des puissances occidentales, la Suisse y compris, ont renoncé à une condamnation forte de l’Afrique du Sud et de son régime d’apartheid. L’importance de ses ressources en uranium en fait d’ailleurs un pays puissant au sein de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, créée en 1957. La condamnation internationale du racisme ouvre cependant une ère de contestations fortes du régime d’apartheid, en particulier au sein des pays dits “en voie de développement” et en URSS. En conséquence, l’Afrique du Sud se retire de l’UNESCO en 1956. Le Conseil d’administration de l’OIT décide en 1963 d’exclure l’Afrique du Sud de certaines Commissions d’industrie. En 1964, l’OMS lui retire son droit de vote. En 1965, l’Afrique du Sud quitte l’Union internationale des télécommunications et une année plus tard l’OIT. Ce n’est qu’en 1977 que l’Afrique du Sud perd son siège à l’AIEA. A partir des années 1960, l’Afrique du Sud devient ainsi une sorte de paria dans le monde des organisations internationales. Ce n’est qu’après l’abolition du régime d’apartheid en 1991 qu’elle retrouve une légitimité au sein de l’ONU.

Nelson Mandela et la lutte pour les droits humains

Alors qu’il est emprisonné à vie par le régime en 1964, Nelson Mandela devient un symbole fort au sein du mouvement international anti-apartheid qui est alors en train de se développer. Libéré en 1990, il consacre le reste de sa vie à la lutte pour l’abolition du régime d’apartheid en Afrique du Sud et pour les droits humains dans le monde. Lorsqu’il arrive à Genève en 1990 pour participer à la Conférence internationale du travail, Nelson Mandela est alors en négociation avec le gouvernement de Frédéric de Klerk pour mettre fin au régime de l’apartheid et poser les premières pierres d’un régime démocratique en Afrique du Sud. Si de nombreux pays soutiennent ouvertement la lutte de Mandela pour la fin du régime de l’apartheid, il est important de noter que la Suisse a longtemps soutenu puis toléré le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, pour des raisons à la fois politiques (lutte anti-communiste) et commerciales (technologies nucléaires).

Lors de son discours à l’OIT, Nelson Mandela rend hommage à l’OIT pour sa participation à la lutte contre l’apartheid mais lui demande aussi de renouveler ses efforts pour garantir le développement démocratique et pacifique de l’Afrique du Sud. Érigeant l’apartheid au rang de crime contre l’humanité, Nelson Mandela cherche aussi la réconciliation et surtout à construire l’avenir de l’Afrique du Sud. Il déclare ainsi : “Il faudra veiller à ce qu'en Afrique du Sud, tout comme en Allemagne après la seconde guerre mondiale, soient créées des institutions démocratiques capables de mettre un terme au terrorisme raciste et de l'empêcher à jamais de redresser la tête.” Il conclut plein d’espoir : “Mon pays ne sera plus une menace pour la paix, il ne fera plus horreur au monde”.

Changer le traitement des prisonniers : l’héritage international de Nelson Mandela

L’héritage du combat de Nelson Mandela a résonné bien au-delà de l’Afrique du Sud. Sa lutte inspira le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, les mouvements d’égalité pour les femmes et la reconnaissance des droits à l’éducation dans le monde. Il fut également une source d’inspiration pour les jeunes. En 1993, Nelson Mandela reçoit le prix Nobel de la Paix, conjointement avec Frédéric Fink, pour leurs efforts dans l’abolition du régime d’apartheid. Après l’abolition du régime en 1991, l’Afrique du Sud redevient membre de l’OIT en 1994, dix jours après l’élection de Nelson Mandela comme nouveau Président de la République. En juin 2007, l'OIT a décerné conjointement son premier Prix annuel pour la recherche sur le travail décent à Nelson Mandela et au Professeur Carmelo Mesa-Lago. En 2009, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 18 juillet, date d'anniversaire de Nelson Mandela, “Journée internationale Nelson Mandela", consacrant cette journée au service public. Mais Nelson Mandela aura surtout durablement marqué la politique internationale en matière de droits des prisonniers.

En 2015, la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale a en effet adopté des révisions importantes des règles pour le traitement des prisonniers, plus connues sous le nom de “Règles Mandela”, en hommage au combat mené par Nelson Mandela. Ces règles ont pour objectif de guider les Etats sur la manière de construire leurs prisons et de les gérer d'une manière qui respecte les droits des prisonniers. Dans le domaine de l’isolement des prisonniers, ces règles font œuvre de pionnier puisqu’elles proscrivent l’isolement d’une durée indéterminée et dépassant les 15 jours, considérées comme des pratiques inhumaines et dégradantes. Au regard de ces règles, la Suisse a encore du chemin à parcourir. Selon une étude du Centre suisse de compétences pour les droits humains publiée en 2020, la Suisse pourrait améliorer les conditions de détention, notamment pour les soins médicaux qui restent de moins bonne qualité pour les détenus, en particulier ceux exonérés de l’obligation de contracter une assurance maladie. L’étude montre également que l’isolement, qui doit répondre à des règles très strictes selon les “Règles Mandela”, demeure une pratique répandue en Suisse alors qu’elle devrait plutôt être exceptionnelle. La publication de ce rapport prouve que l’héritage de Nelson Mandela résonne encore aujourd’hui. Emprisonné pendant 27 ans, Nelson Mandela, leader du mouvement pour la fin de l'apartheid en Afrique du Sud, est libéré le 11 février 1990. Le 8 juin 1990, la 77e session de la Conférence internationale du travail accueille Nelson Mandela, alors vice-président du Congrès national africain (ANC).

Voici quelques extraits de son discours en vidéo en anglais avec la transcription en anglais et en français ci-dessous.

"While not seeking to impoverish anybody, quite clearly we have to address the issue of those who are deprived with the greatest vigour. In this context, we wish to make this undertaking: that the new South Africa will have to ratify the Conventions that the ILO has adopted over the decades, to ensure that the humane purposes intended by the promulgation of those Conventions are realised in our country as well.

We have tried, very briefly, to indicate some of our perspectives concerning what we are struggling to achieve in our country. What we have spoken of in terms of the political and economic system is still in the future. Today's reality is that the apartheid system, in all its principal elements, is still in place. We are still ruled by a white minority Government. Millions of our people are still confined in bantustan's and other group areas. In other words, fundamental change has not yet taken place. The struggle must therefore continue. In this respect, we wish to emphasise that it is our firm belief that sanctions must be maintained. Sanctions were imposed as a peaceful means to end apartheid. Given the fact that apartheid has not ended, it is only logical that we should continue to use this weapon of struggle.

Last December, a special session of the United Nations General Assembly decided unanimously that sanctions would not be lifted until profound and irreversible changes had taken place, leading to the transformation of South Africa into a non-racial democracy.

No such changes have as yet taken place. It is therefore important that the international community maintain its positions on the issue of sanctions. But clearly, we must also begin to look to the future. South Africa will be free. Peace will reign supreme in our region, despite the stubborn resistance of some elements to the peace initiative of the Government of Angola and Mozambique. When we have cleared these remnants of a cruel and inhuman past, then it will be time to attend to the matter of the reconstruction of our country and region to meet the material and spiritual needs of all our people.

Many years ago now the General Assembly of the United Nations took the decision that it had a special responsibility towards the people of South Africa. It adopted this position because it recognised the unique manner in which the scourge of racism had established itself in our country. By assuming a special responsability, it was expressing the view that the elimination of the apartheid system of racial arrogance and supremacy was critical to the elimination of racism everywhere. We believe that even after the political transformation that we all seek has been achieved, this special responsibility of the international community will continue to be relevant. This is so because it will be necessary to repair the damage caused by the apartheid system, both in South Africa and in the rest of Southern Africa.

We want to build a system of co-operation with all nations so that the liberated South Africa itself becomes a force of peace, friendship and social progress throughout the world. We believe that our people of all colours, with all their talents and genius, have an important contribution to make to the realisation of this universal objective. This once more underlines the urgency with which we have to move to get rid of the apartheid system which makes this international intercourse impossible."

Traduction française

"Sans chercher à appauvrir qui que ce soit, il est clair que nous devons aborder avec la plus grande vigueur la question de ceux qui sont démunis. Dans ce contexte, nous souhaitons prendre cet engagement : la nouvelle Afrique du Sud devra ratifier les conventions que l'OIT a adoptées au fil des décennies, afin de garantir que les objectifs humains visés par la promulgation de ces conventions se réalisent également dans notre pays.

Nous avons essayé, très brièvement, d'indiquer certaines de nos perspectives concernant ce que nous nous efforçons de réaliser dans notre pays. Ce dont nous avons parlé en termes de système politique et économique est encore dans l'avenir. La réalité d'aujourd'hui est que le système d'apartheid, dans tous ses éléments principaux, est toujours en place. Nous sommes toujours dirigés par un gouvernement minoritaire blanc. Des millions de nos concitoyens sont toujours confinés dans des bantoustans et d'autres zones collectives. En d'autres termes, aucun changement fondamental n'a encore eu lieu. La lutte doit donc se poursuivre. À cet égard, nous souhaitons souligner que nous sommes fermement convaincus que les sanctions doivent être maintenues. Les sanctions ont été imposées comme un moyen pacifique de mettre fin à l'apartheid. Étant donné que l'apartheid n'a pas pris fin, il est tout à fait logique que nous continuions à utiliser cette arme de lutte.

En décembre dernier, une session spéciale de l'Assemblée générale des Nations unies a décidé à l'unanimité que les sanctions ne seraient pas levées tant que des changements profonds et irréversibles n'auraient pas eu lieu, conduisant à la transformation de l'Afrique du Sud en une démocratie non raciale.

Aucun changement de ce type n'a encore eu lieu. Il est donc important que la communauté internationale maintienne ses positions sur la question des sanctions. Mais il est clair que nous devons aussi commencer à regarder vers l'avenir. L'Afrique du Sud sera libre. La paix régnera en maître dans notre région, malgré la résistance obstinée de certains éléments à l'initiative de paix du gouvernement de l'Angola et du Mozambique. Lorsque nous aurons éliminé ces vestiges d'un passé cruel et inhumain, il sera alors temps de s'occuper de la question de la reconstruction de notre pays et de notre région pour répondre aux besoins matériels et spirituels de tout notre peuple.

Il y a de nombreuses années maintenant, l'Assemblée générale des Nations unies a décidé qu'elle avait une responsabilité particulière envers le peuple d'Afrique du Sud. Elle a adopté cette position parce qu'elle a reconnu la manière unique dont le fléau du racisme s'est établi dans notre pays. En assumant une responsabilité spéciale, elle exprimait le point de vue selon lequel l'élimination du système d'apartheid d'arrogance et de suprématie raciales était essentielle à l'élimination du racisme partout dans le monde. Nous pensons que, même après que la transformation politique que nous recherchons tous aura été réalisée, cette responsabilité spéciale de la communauté internationale restera pertinente. Il en est ainsi parce qu'il sera nécessaire de réparer les dommages causés par le système d'apartheid, tant en Afrique du Sud que dans le reste de l'Afrique australe.

Nous voulons construire un système de coopération avec toutes les nations afin que l'Afrique du Sud libérée devienne elle-même une force de paix, d'amitié et de progrès social dans le monde entier. Nous croyons que notre peuple de toutes les couleurs, avec tous ses talents et son génie, a une contribution importante à apporter à la réalisation de cet objectif universel. Cela souligne une fois de plus l'urgence avec laquelle nous devons agir pour nous débarrasser du système d'apartheid qui rend ces échanges internationaux impossibles."

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geneveMonde
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Aug 26th, 2022
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