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Haïlé Selassié, empereur d'Ethiopie tance l'Italie devant la SDN

September 13th, 1935
SDN
Archives de la RTS

Le 13 septembre 1935, le négus Haïlé Sélassié plaide la cause de son pays, l'Éthiopie face à la menace italienne. Il reviendra, une année plus tard, pour demander l'intervention de la Société des Nations suite à l'invasion italienne. Voici le verbatim de son discours du 30 juin 1936 toujours à la SdN.

« Moi, Haïlé Sélassié Ier, Empereur d’Ethiopie, je suis aujourd’hui ici pour réclamer la justice, qui est due à mon peuple, et l’assistance qui lui a été promise il y a huit mois, lorsque cinquante nations affirmèrent qu’une agression avait été commise en violation des traités internationaux. Il n’y a pas de précédent pour un chef d’Etat de parler lui-même devant cette assemblée. Mais, il est aussi sans exemple pour un peuple d’être victime d’une telle injustice et d’être à présent menacé d’abandon à son agresseur. Par ailleurs, il n’y a jamais eu auparavant un exemple de gouvernement procédant à l’extermination systématique d’un peuple par des moyens barbares, en violation des promesses les plus solennelles faites aux nations du monde, de ne point recourir à une guerre de conquête, et de ne point user du terrible poison des gaz nocifs contre des êtres humains innocents. C’est pour défendre un peuple qui lutte pour son indépendance millénaire que le chef de l’Empire d’Ethiopie est venu à Genève pour remplir ce devoir suprême, après avoir lui-même combattu à la tête de ses armés.

L’aviation italienne recourut alors à l’ypérite. Des fûts de liquides furent jetés sur ces groupes armés

Je prie Dieu Tout Puissant d’épargner aux nations les terribles supplices que mon peuple vient de subir, et dont les chefs qui m’accompagnent ici ont été les témoins horrifiés. J’ai le devoir d’informer les gouvernements assemblés à Genève, puisse qu’ils sont responsables des vies de millions d’hommes, des femmes et d’enfants, du danger mortel qui les menace, en leur décrivant le sort que l’Ethiopie a souffert.

Ce n’est pas seulement aux guerriers que le gouvernement italien a fait la guerre ; il s’est surtout attaqué aux populations éloignées des hostilités, de manière à les terroriser et les exterminer.

Au début, vers la fin de l’année 1935, l’aviation italienne a lancé des bombes à gaz lacrymogène contre mon armée. Leurs effets n’étaient que légers. Les soldats apprirent à se disperser en attendant que le vent eut rapidement dissipé les gaz toxiques. L’aviation italienne recourut alors à l’ypérite. Des fûts de liquides furent jetés sur ces groupes armés. Mais ce moyen fut également inefficace, le liquide eu des effets sur quelques soldats seulement et les barils sur le terrain étaient eux-mêmes un avertissement du péril pour les troupes et la population.

C’est au moment de l’opération pour l’encerclement de Makalé que le commandement italien, craignant une déroute suivit la procédure dont j’ai aujourd’hui le devoir de dénoncer au monde. Des pulvérisateurs spéciaux furent installés à bord des avions de sorte qu’ils pouvaient vaporiser, sur des vastes régions du territoire, une pluie fine et fatale. Des groupes de 9, 15, 18 avions se suivaient les uns les autres de manière que le brouillard émis par chacun d’eux formait une nappe continue. C’est ainsi que, dès la fin du mois de janvier 1936, des soldats, des femmes, des enfants, du bétail, des rivières, des lacs et des pâturages furent continuellement arrosés par cette pluie mortelle ; de façon à tuer systématiquement toute créature vivante et d’empoisonner les eaux et les pâturages, le commandement italien avait fait survoler ses avions sur nous à maintes reprises. C’était là sa méthode de guerre principale.

Tous ceux qui burent de l’eau empoisonnée ou mangèrent de la nourriture infectée moururent dans d’atroces souffrances.

La subtilité même de la barbarie consistait à entraîner dévastation et terreur dans les endroits du territoire les plus densément peuplés et les points les plus éloignés de la scène des hostilités. Le but étant de semer l’épouvante et la mort sur une grande partie du territoire éthiopien. Ces tactiques effrayantes réussirent : des hommes et des animaux succombèrent. La pluie mortelle qui tombait des avions faisait hurler,§ tous ceux qu’elle atteignait, emportés par la douleur. Tous ceux qui burent de l’eau empoisonnée ou mangèrent de la nourriture infectée moururent dans d’atroces souffrances. Par dizaines de milliers, les victimes du gaz ypérite italien tombèrent. C’est pour dénoncer au monde civilisé les tortures infligées au peuple éthiopien que j’ai décidé de venir à Genève. Nul autre que moi et mes braves compagnons d’armes ne pouvaient en apporter la preuve indéniable à la Société des Nations, mes délégués n’avaient pas été témoins et leurs appels restaient sans réponse. C’est pourquoi j’ai décidé de venir moi-même pour porter témoignage des crimes perpétrés contre mon peuple et donner à l’Europe un avertissement du sort qui lui est réservé, si elle devait s’incliner devant le fait accompli. Est-il nécessaire de rappeler à l’Assemblée les diverses phases du drame éthiopien ? Au cours des vingt années écoulées, soit en tant qu’Héritier Présomptif, Régent de l’Empire ou Empereur, je n’ai jamais cessé de faire tout mon possible pour amener mon pays à la civilisation, et en particulier d’établir des relations de bon voisinage avec les puissances limitrophes. J’ai réussi notamment à conclure avec l’Italie le Traité d’Amitié de 1928, qui interdisait absolument le recours sous aucun prétexte quel qu’il soit, au poids des armes, remplaçant par la force et la tension la conciliation et la pression ainsi que l’arbitrage sur lesquels les nations civilisées ont basé l’ordre mondial.

Dans son rapport du 5 octobre 1935, le Comité des Treize a reconnu mes efforts et les résultats que j'avais obtenus. Les gouvernements pensaient que l'entrée de l'Ethiopie dans la Société (SdN) tout en donnant à ce pays une nouvelle garantie pour le maintien de son intégrité territoriale et de son indépendance, l'aidera à atteindre un niveau supérieur de civilisation. Il ne semble pas que, dans l'Ethiopie d'aujourd'hui il y ait plus de désordre et d'insécurité qu’en 1923. Au contraire, le pays est plus uni et le pouvoir central est mieux respecté. J’aurais dû procurer encore plus de résultat à mon peuple, si des obstacles de toute nature n'avait pas été mis en route par le gouvernement italien, le gouvernement qui a suscité la révolte et armé les rebelles. En vérité, le gouvernement de Rome, comme il l'a ouvertement proclamé aujourd'hui, n'a jamais cessé de se préparer à la conquête de l'Ethiopie. Les traités d'amitié qu'il a signés avec moi n'étaient pas sincères, leur seul but était de me cacher sa véritable intention. Le gouvernement italien affirme que pendant 14 ans, il a préparé la conquête actuelle. Par conséquent, il reconnaît aujourd'hui que lorsqu'il a soutenu l'admission de l'Éthiopie à la Société des Nations en 1923, lorsqu'il a conclu le Traité d'amitié en 1928, lorsqu'il a signé le Pacte de Paris interdisant la guerre, il trompait le monde entier. Le gouvernement éthiopien a, dans ces traités solennels, donné des garanties supplémentaires de sécurité qui lui permettrait de réaliser de nouveaux progrès sur la voie spécifique de la réforme sur laquelle il s‘est engagé, et à laquelle il consacrait toutes ses forces et tout son cœur.

Le prix payé était l'abandon de l'indépendance de l'Éthiopie à la cupidité du gouvernement italien

L'incident de Wal-Wal, en décembre 1934, est venu comme un coup de tonnerre pour moi. La provocation italienne était évidente et je n'ai pas hésité à faire appel à la Société des Nations. J'ai invoqué les dispositions du traité de 1928, les principes du Pacte ; j'ai demandé la procédure de conciliation et d'arbitrage. Malheureusement pour l'Ethiopie ce fut le moment où un certain gouvernement a estimé que la situation européenne faisait qu’il était impératif à tout prix d’obtenir l'amitié de l'Italie. Le prix payé était l'abandon de l'indépendance de l'Éthiopie à la cupidité du gouvernement italien. Cet accord secret, contraire aux obligations du Pacte, a exercé une grande influence sur le cours des événements. L'Ethiopie et le monde entier ont souffert et souffrent encore aujourd'hui de ses conséquences désastreuses. Cette première violation du Pacte a été suivie par beaucoup d'autres. Se sentant lui-même encouragé dans sa politique contre l'Éthiopie, le gouvernement de Rome fébrilement a fait des préparatifs de guerre, en pensant que la pression concertée qui commençait à être exercée sur le gouvernement éthiopien ne pourrait peut-être pas vaincre la résistance de mon peuple à la domination italienne. Le moment allait venir, ainsi toutes sortes de difficultés ont été placées sur la voie en vue de briser la procédure ; de conciliation et d'arbitrage. Tous les types d'obstacles ont été placés sur la voie de cette procédure. Les gouvernements ont tenté d'empêcher le gouvernement éthiopien de trouver des arbitres parmi leurs ressortissants : une fois que le tribunal arbitral a été constitué des pressions ont été exercée afin qu’une sentence favorable à l'Italie soit accordée. Tout cela fut en vain : les arbitres, dont deux étaient des agents italiens, ont été forcés de reconnaître à l'unanimité que, dans l'incident Wal-Wal, ainsi que lors des incidents ultérieurs, aucune responsabilité internationale devait être attribuée à l'Éthiopie.

Suite à cette attribution, le gouvernement éthiopien pensait sincèrement que l'ère des relations amicales pourraient être ouvertes avec l'Italie. J'ai loyalement offert ma main au gouvernement romain. L'Assemblée a été informée par le rapport de la commission des Treize, en date du 5 octobre 1935, des détails des événements qui ont eu lieu après le mois de décembre 1934, et jusqu'au 3 octobre 1935. Il suffira que je cite quelques-unes des conclusions de ce rapport numéros 24, 25 et 26 "Le mémorandum italien (contenant les plaintes formulées par l'Italie) a été mis sur la table du Conseil le 4 septembre 1935, alors que le premier appel de l'Éthiopie au Conseil avait été fait le 14 décembre 1934. Dans l'intervalle entre ces deux dates, le gouvernement italien s'est opposé à l'examen de la question par le Conseil au motif que la seule procédure appropriée était celle prévue dans le traité italo-éthiopien de 1928. Tout au long de cette période, en outre, l'envoi de troupes italiennes en Afrique orientale est en cours. Ces envois de troupes étaient présentés au Conseil par le gouvernement italien comme nécessaire pour la défense de ses colonies menacées par les préparatifs de l'Éthiopie. L’Éthiopie, au contraire, a attiré l'attention sur les déclarations officielles faites en Italie qui, à son avis, ne laissait aucun doute "sur les intentions hostiles du gouvernement italien."

Dès le début du conflit, le gouvernement éthiopien a demandé un règlement par des moyens pacifiques. Il a fait appel aux procédures du Pacte. Le gouvernement italien désireux de s'en tenir strictement aux procédures du traité italo-éthiopien de 1928, le gouvernement éthiopien consentit. Il a invariablement déclaré qu'il exécuterait fidèlement la sentence arbitrale, même si la décision allait contre elle. Il était convenu que la question de la propriété de Wal-Wal ne devrait pas être traitée par les arbitres, parce que le gouvernement italien ne serait pas d'accord pour un tel recours. Il a demandé au Conseil l’envoi d'observateurs neutres et offert de se prêter à toute demande de renseignements sur lesquels le Conseil pourrait décider.

Dans cette lutte j'étais le défenseur de la cause de tous les petits États exposés à la convoitise d'un voisin puissant

Une fois que les différends de Wal-Wal ont été réglés par arbitrage, le Gouvernement Italien a présenté son mémorandum détaillé au Conseil à l'appui de sa revendication de liberté d'action. Il a affirmé qu’un cas comme celui de l'Ethiopie ne peut être réglé par les moyens prévus par le Pacte. Il a déclaré que, "depuis que cette question affecte les intérêts vitaux et est d'une importance primordiale à la sécurité et à la civilisation italienne", cela serait manqué à son devoir le plus élémentaire, de ne pas cesser une fois pour toutes de placer quelque confiance en l’Ethiopie, en se réservant la pleine liberté d'adopter des mesures qui pourraient s'avérer nécessaires pour assurer la sécurité de ses colonies et de préserver ses propres intérêts".

Ce sont les termes du rapport du Comité des Treize, le Conseil et l'Assemblée ont adopté à l'unanimité la conclusion que le gouvernement italien a fait acte d'agression. Je n'ai pas hésité à déclarer que je n'ai pas voulu la guerre, qu'elle m’a été imposée, et je lutte uniquement pour l'indépendance et l'intégrité de mon peuple, et que dans cette lutte j'étais le défenseur de la cause de tous les petits États exposés à la convoitise d'un voisin puissant. En octobre 1935, les cinquante-deux nations qui sont à mon écoute aujourd'hui m'ont donné l'assurance que l'agresseur ne triompherait pas, que les ressources du Pacte seraient employées afin d'assurer le règne du droit et l'échec de la violence.

Je demande aux cinquante-deux nations de ne pas oublier aujourd'hui la politique sur laquelle ils se sont engagés il y a huit mois et sur la foi de laquelle je dirigeais la résistance de mon peuple contre l'agresseur qu’ils avaient dénoncé au monde. Malgré l'infériorité de mes armes, l'absence complète d'avions, d’artillerie, de munitions, de services hospitaliers, ma confiance dans la Société (SdN) était absolue. Je pensais qu'il était impossible que cinquante-deux nations, y compris le plus puissant du monde, soient vaincues avec succès par un agresseur unique. Ayant foi en raison des traités, je n'avais effectué aucune préparation à la guerre, et c'est le cas avec certains petits pays en Europe.

Lorsque le danger devenait plus pressant, en étant conscient de mes responsabilités envers mon peuple, au cours des six premiers mois de 1935, j'ai essayé d'acquérir des armements. De nombreux gouvernements ont proclamé un embargo pour empêcher mon action, alors que pour le gouvernement italien par le canal de Suez, toutes les facilités ont été données pour le transport sans interruption et sans protestation des troupes, armes et munitions.

Le 3 octobre 1935, les troupes italiennes ont envahi mon territoire. Quelques heures plus tard seulement je décrétais la mobilisation générale. Dans mon désir de maintenir la paix j'avais, suivant l'exemple d'un grand pays en Europe à la veille de la Grande Guerre, fait retirer mes troupes de 30 km afin d'ôter tout prétexte de provocation. La guerre a ensuite eu lieu dans les conditions atroces que j'ai exposées devant l'Assemblée. Dans ce combat inégal entre un gouvernement commandant plus de quarante-deux millions d'habitants, ayant à sa disposition des moyens financiers, industriels et techniques qui lui ont permis de créer des quantités illimitées d’armes les plus mortifères, et, d'autre part, un petit peuple de douze millions d'habitants, sans armes, sans ressources ayant de son côté que la justice de sa propre cause et la promesse de la Société des Nations. Quelle aide réelle a été accordée à l'Éthiopie par les cinquante-deux nations qui avait déclaré le gouvernement de Rome coupable d'une violation du Pacte et se sont engagés à empêcher le triomphe de l'agresseur ? A chacun des États Membres, comme c'était leur devoir de le faire en vertu de la signature apposée sur l'article 15 du Pacte, devait-il considérer l'agresseur comme ayant commis un acte de guerre dirigé personnellement contre eux-mêmes ? J'avais mis tous mes espoirs dans l'exécution de ces engagements. Ma confiance a été confirmée par les déclarations répétées du Conseil sur le fait que l'agression ne doit pas être récompensée, et que la force finirait par être obligée de s'incliner devant le droit.

J'ai noté avec tristesse, mais sans surprise que les trois puissances considéraient leurs engagements en vertu du Pacte comme absolument sans valeur

En décembre 1935, le Conseil a clairement indiqué que ses sentiments étaient en harmonie avec celles de centaines de millions de personnes qui, dans toutes les régions du monde, avaient protesté contre la proposition visant à démembrer l'Éthiopie. Il a été constamment répété qu'il n'y avait pas seulement un conflit entre le gouvernement italien et la Ligue des Nations, et c'est pourquoi j'ai personnellement refusé toutes les propositions à mon avantage personnel qui m'ont été faites par le gouvernement italien, si seulement je trahissais mon peuple et le Pacte de la Société des Nations. J’ai défendu la cause de tous les petits peuples qui sont menacés d'agression.

Que sont devenus les promesses m’ont été faites il y a longtemps, comme en octobre 1935? J'ai noté avec tristesse, mais sans surprise que les trois puissances considéraient leurs engagements en vertu du Pacte comme absolument sans valeur. Leurs liens avec l'Italie les ont poussé à refuser de prendre toutes les mesures qui soient pour faire cesser l'agression italienne. Au contraire, cela a été une profonde déception pour moi d'apprendre l'attitude d'un certain gouvernement qui, tout en protestant de son attachement le plus scrupuleux au Pacte, a utilisé sans relâche tous ses efforts pour empêcher son respect. Dès qu’une mesure qui était susceptible d'être rapidement efficace était proposée, divers prétextes ont été conçus afin de reporter l'examen de la mesure en question. Les accords secret de janvier 1935, prévoyaient-ils cette obstruction infatigable ? Le gouvernement éthiopien n’attendait pas des autres gouvernements qu’ils viennent verser le sang de leurs soldats pour défendre le Pacte lorsque leurs intérêts personnels immédiats n'étaient pas en jeu. Les guerriers éthiopiens demandaient uniquement les moyens de se défendre. A de nombreuses reprises, j'ai demandé une aide financière pour l'achat d'armes. Cette aide m’a été constamment refusée. Qu'est donc, en pratique, le sens de l'article 16 du Pacte et la sécurité collective?

L’utilisation par le Gouvernement éthiopien de la voie ferrée de Djibouti à Addis-Abeba a été en pratique une situation dangereuse en ce qui concerne le transport d'armes destinées aux forces éthiopiennes. A l'heure actuelle c'est le principal, sinon le seul moyen de ravitaillement des armées d'occupation italienne. Les règles de neutralité auraient dû interdire les transports destinés aux forces italiennes, mais il n'y a même pas de neutralité, depuis que l'article 16 fixe à chaque État membre de la Société le droit de ne pas rester neutre, mais de venir en aide non pas à l'agresseur, mais à la victime d'une agression. Le Pacte a t-il été respecté? Est-il aujourd'hui respecté ?

Enfin une déclaration vient juste d'être faite dans leurs parlements par les gouvernements de certaines puissances, parmi eux les membres les plus influents de la Société des Nations que, depuis que l'agresseur a réussi à occuper une grande partie du territoire éthiopien, ils proposent de ne pas poursuivre l'application des mesures économiques et financières qui peuvent avoir été décidées à l'encontre du gouvernement italien. Ce sont les circonstances dans lesquelles, à la demande du Gouvernement argentin, l'Assemblée de la Société des Nations se réunit pour examiner la situation créée par l'agression italienne. J'affirme que le problème soumis à l'Assemblée aujourd'hui est beaucoup plus large. Ce n'est pas simplement une question de règlement de l'agression italienne.

Outre le Royaume du Seigneur, il n'est pas sur cette terre une nation qui est supérieure à une autre

Il en est de la sécurité collective : c'est l'existence même de la Société des Nations. C'est la confiance que chaque État place dans les traités internationaux. C'est la valeur des promesses faites aux petits États que leur intégrité et leur indépendance doivent être respectées et garanties. C'est le principe de l'égalité des États d'une part, ou l'obligation qui incombe aux petites puissances d’accepter les liens de vassalité. En un mot, c'est la morale internationale qui est en jeu. Les signatures apposées sur un traité ont-elles de la valeur que dans la mesure où les Puissances signataires ont un intérêt personnel, direct et immédiat en cause ? Aucune subtilité ne peut changer le problème ou modifier la base de la discussion. C’est en toute sincérité que je soumets ces considérations à l'Assemblée. Au moment où mon peuple est menacé d'extermination, lorsque le soutien de la Ligue peut parer le coup final, qu'il me soit permis de parler avec une entière franchise, sans réticence, en toute franchise comme cela est exigé par la règle de l'égalité entre tous les États Membres de la Ligue?

Outre le Royaume du Seigneur, il n'est pas sur cette terre une nation qui est supérieure à une autre. S'il arrive qu'un gouvernement fort estime qu'il peut impunément détruire un peuple faible, alors que l'heure sonne pour que les gens faibles de faire appel à la Société des Nations pour rendre son jugement en toute liberté. Dieu et l'Histoire se souviendront de votre jugement.

J'ai entendu affirmer que les sanctions insuffisantes déjà appliquées n'ont pas atteint leur but. A aucun moment, et en aucun cas des sanctions qui ont été intentionnellement insuffisantes, intentionnellement mal appliquées pourraient arrêter un agresseur. Ce n'est pas un cas d’impossibilité d'arrêter l'agresseur, mais du refus d'arrêter l'agresseur. Lorsque l'Éthiopie a demandé, et demande, à recevoir une aide financière, la mesure était impossible à appliquer alors que l'aide financière de la Société a été accordée, même en temps de paix, à deux pays et exactement à deux pays qui ont refusé d'appliquer des sanctions contre l'agresseur ? Face à de nombreuses violations par le gouvernement italien de tous les traités internationaux qui interdisent le recours aux armes et l'utilisation de méthode de guerre barbare, il est de mon pénible devoir de constater que l'initiative a été prise aujourd'hui, en vue d’augmenter les sanctions. Est-ce que cette initiative ne signifie pas dans la pratique l'abandon de l'Ethiopie à l'agresseur ? A la veille même du jour où je m'apprêtais à tenter un effort suprême pour la défense de mon peuple devant cette Assemblée, n'est ce pas par cette initiative priver l'Ethiopie d'une de ses dernières chances de réussir à obtenir le soutien et la garantie des Etats membres ? Est-ce ce que la direction de la Société des Nations et de chacun des États membres sont en droit d'attendre des grandes puissances quand ils font valoir leur droit et leur devoir de guider l'action de la Ligue? Placés par l'agresseur face à face avec le fait accompli, les États sont-ils en train de mettre en place le précédent terrible de s'incliner devant la force?

Votre Assemblée aura sans doute prévu auparavant des propositions pour la réforme du Pacte, pour rendre plus effective la garantie de la sécurité collective. Est-ce que le Pacte a besoin de réformes ? Quelles entreprises peuvent avoir de la valeur si la volonté de les maintenir manque ? C’est la morale internationale qui est en jeu et non les articles du Pacte. Au nom du peuple éthiopien, membre de la Société des Nations, je demande à l'Assemblée de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le respect du Pacte. Je renouvelle ma protestation contre les violations des traités dont le peuple éthiopien a été la victime. Je déclare à la face du monde entier que l'Empereur, le gouvernement et le peuple de l'Ethiopie ne veulent pas plier devant la force ; qu'ils maintiennent leurs revendications, qu'ils vont utiliser tous les moyens en leur pouvoir pour assurer le triomphe du droit et le respect du Pacte.

Je demande aux cinquante-deux nations, qui ont donné au peuple éthiopien la promesse de les aider dans leur résistance à l'agresseur, ce qu'elles sont prêtes à faire pour l'Éthiopie? Et aux grandes puissances qui ont promis la garantie de la sécurité collective pour les petits Etats sur lesquels pèse la menace qu'ils pourraient un jour subir le sort de l'Ethiopie, je demande quelles mesures comptez-vous prendre ?

Représentants du monde, je suis venu à Genève pour m’acquitter au milieu de vous du plus pénible des devoirs d'un chef d’État. Quelle réponse dois-je ramener à mon peuple ?"

Haïle Sélassié Ier, SDN Genève (Suisse), 30 Juin 1936.

Photo Lucien Aigner (1935)

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Sep 28th, 2022
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