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La paix des esprits : Paul VI à Genève Featured

June 10th, 1969
GeneveMonde
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La visite du pape Paul VI à Genève, le 10 juin 1969 à l’occasion du 50e anniversaire de l’Organisation internationale du travail, marque le début d’un renouveau dans les relations entre le Saint-Siège et ces « auditoires uniques au monde » que sont, selon Paul VI, les organisations internationales.

Rappelant les relations anciennes tissées entre l’Eglise et l’OIT, Paul VI exprime dans son discours le souci de l’Eglise de renforcer sa présence sur la scène internationale et d’œuvrer pour plus de justice sociale et de dignité dans le monde.

Genève et ses papes

Malgré son statut de ville réformée, Genève est l’une des villes du monde les plus visitées par les papes contemporains. Ceci s’explique en grande partie par la présence de nombreuses organisations internationales sur son territoire. La venue de Paul VI en juin 1969 est la première visite d’un pape à Genève. D’autres visites suivront comme celles de Jean Paul II en 1982 et 1984. Selon l’historien suisse Angelo Garovi, « une visite papale est un événement rare en Suisse. En 2000 ans d’histoire de la papauté, seuls cinq peuvent être prouvées ». Accueilli à l’aéroport de Cointrin avec tous les honneurs par les autorités nationales et internationales, Paul VI se rend ensuite au siège de l’OIT où il est accueilli par David Morse, directeur-général du BIT depuis 1948, les fonctionnaires du BIT et leurs familles venus nombreux écouter le discours du pape.

Un hommage à l’œuvre sociale de l’OIT

Devant les délégués à la Conférence internationale du travail, Paul VI salue l’œuvre pionnière du BIT, où le travail est « digne d’un intérêt fondamental », et le dévouement de ceux qui ont contribué, non sans peine, à son développement. « Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ». Citant le préambule de la Constitution de 1919 de l’OIT, Paul VI insiste sur le fait que les principes qui ont prévalu à la création de l’OIT, loin d’un idéalisme naïf, sont toujours profondément enracinés « dans la réalité du progrès de la société ». Pourtant, l’idée d’une justice sociale universelle était bien radicale en 1919 et l’action de l’OIT ne manqua pas d’être contestée et critiquée. « Qui dira les travaux, les fatigues, les veilles génératrices de tant de décisions courageuses et bénéfiques pour tous les travailleurs, comme pour la vie de l'humanité, de tous ceux qui, non sans mérite, lui ont consacré avec talent leur activité ? ». Paul VI évoque dans cet extrait le souvenir d’Albert Thomas, premier directeur du BIT, qui donna une force et une vitalité uniques à l’institution et sans qui elle n’aurait peut-être pas survécu aux vagues révolutionnaires, à la montée des nationalismes extrêmes et à la crise économique des années 1930 qui ont plongé le monde dans le chaos, l’incertitude et la misère.

Paul VI rappelle aussi les relations historiques entre le monde catholique et l’OIT, tissées dès les années 1920 notamment à travers la Confédération internationale des syndicats chrétiens. « Un prêtre a toujours été au milieu de ceux qui ont constitué, construit, soutenu et servi cette insigne institution ». Depuis 1926, le BIT compte aussi parmi son personnel un père jésuite dont la mission était de développer les relations avec les organisations chrétiennes et en particulier le syndicalisme chrétien. Paul VI connaissait lui-même l'organisation depuis ses débuts. Son frère avait travaillé au BIT lors d’une brève période en 1922 et il recevait les publications du BIT depuis les années 1930[1]. Cela dit, les relations entre l’OIT et le Saint-Siège ne furent officialisées que tardivement et après la publication de l’encyclique Populorum Progressio en 1967.

Enraciner l’Eglise dans le monde : l’objectif de la visite de Paul VI

La venue de Paul VI à Genève est le quatrième grand voyage du pape après Jérusalem, l’Inde, New York et Bogota. Renouant avec une ancienne tradition de diplomatie papale, Paul VI a souhaité à travers ses voyages rapprocher l’Eglise du monde extérieur et surtout l’inscrire dans la modernité. Lorsque la cardinal Montini est élu pape en juin 1963 et prend le nom de Paul VI, il décide de poursuivre le travail de réforme de l’église entamé par son prédécesseur le pape Jean XXIII. Paul VI continue de porter le concile du Vatican II tout en donnant une place centrale aux questions de la paix, de la vie internationale et de la justice sociale internationale. Dans ce contexte, il souhaite normaliser les relations entre l’Eglise et les organisations internationales. En 1962, le Vatican bénéficiait d’un siège d’observateur seulement à l’UNESCO, à l’AIEA et à la FAO. En 1964, Paul VI obtient un poste d’Observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU à New York. En 1965, il est invité à prononcer un discours historique devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Enfin, en 1967, après la publication de l’encyclique Populorum Progressio, l’OIT accorde au Saint-Siège un statut similaire. La teneur résolument sociale de ce texte a favorisé le rapprochement entre l’OIT et le Saint-Siège[2]. Sous l’influence de Paul VI, l’Eglise s’est ainsi considérablement rapprochée des organisations internationales dans les années 1960, à un moment où l’Eglise elle-même connaissait d’importantes mutations tant sur le plan institutionnel que doctrinal.

Paix, justice sociale et développement

Le monde chrétien, malgré quelques épisodes controversés, a joué un rôle important dans la promotion de la paix en collaboration avec les organisations internationales. Ainsi, dans les années 1930, plusieurs organisations chrétiennes présentes à Genève ont soutenu les actions de la Société des nations en faveur du désarmement. Les recherches de l’historien Aurélien Zaragori montrent également la proximité qui existe entre la pensée sociale chrétienne et la mission donnée à l’OIT de promouvoir partout dans le monde le progrès social. Les interventions de Paul VI à l’ONU en 1965 et à l’OIT en 1969 témoignent du soutien apporté par le Saint-Siège aux actions des organisations internationales et de la volonté de Paul VI d’y diffuser un message chrétien. Elles attestent également d’un changement dans l’action de l’Eglise, qui se veut plus ouverte sur le monde, plus sécularisée et résolument orientée vers la diffusion du progrès et du développement. Pour s’en convaincre, il suffit de relire l’encyclique Populorum Progressio publié en 1967. Dans ce texte, Paul VI plaide pour le développement solidaire. Il parle de la nécessité de mener une action de développement pour garantir la paix dans le monde. Évoquant la « charité universelle » chrétienne, il engage les fidèles à ne plus se limiter au devoir d’accueil mais à mener des actions de lutte contre la pauvreté et l’injustice sociale. En 1969 au BIT, Paul VI invite ainsi l’organisation à poursuivre son œuvre de justice et de paix en faisant respecter les droits des travailleurs tout en entendant « ce cri de douleur qui continue à monter de l’humanité souffrante » (3). Paul VI conclut son discours sur cette nouvelle communauté d’esprit qui existe entre l’OIT et l’Eglise s’agissant du travail, où l’homme est placé avant le travail. « Jamais plus le travail au-dessus du travailleur, jamais plus le travail contre le travailleur, mais toujours le travail pour le travailleur, le travail au service de l'homme ». Si le Saint-Siège a mis du temps à normaliser ses relations avec l’OIT, la venue du pape Paul VI en 1969 témoigne du long chemin qui a été parcouru pour rapprocher l’Eglise des organisations internationales et œuvrer avec elles à la promotion de la paix.

Véronique Stenger

  1. Aurélien Zaragori, « L’organisation du travail et les milieux chrétiens 1919 -1969 ». Thèse de doctorat, p. 229.
  2. Ibid., p. 17.
  3. Discours de Paul VI à la Conférence internationale du travail, 1969. Archives audio-visuelles de l'Organisation internationale du travail, Genève.

Légende photo : archives historiques de l'OIT, 10 juin 1969, 53e session de l'OIT - Les différentes sections du personnel de l'OIT, alignées pour écouter le pape Paul VI.

Ecouter le discours de Paul VI en cliquant sur ce lien.

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May 3rd, 2022
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