D'abord des rumeurs... le CICR parmi les premiers témoins à Hiroshima
Illustration de couverture: photographie de la bombe A sur Hiroshima, le 6 août 1945. Source: armée américaine, Bibliothèque du Congrès.
Au lendemain de l’explosion de la bombe atomique à Hiroshima, le 6 août 1945, le Journal de Genève publie un article sur les «effets terrifiants» de la bombe A, qui passe pourtant sous silence la tragédie qui vient de se produire. L’article reproduit le discours du président américain Harry Truman, aborde les développements techniques ayant permis la fabrication de la bombe et souligne le potentiel de la «force atomique» pour l’industrie (1). Ce n’est que dans son édition du 8 août que le journal évoque l’ampleur de l’explosion qui a touché Hiroshima, une ville «complètement rasée de la surface de la terre» (2).
Les nouvelles de la catastrophe commencent à parvenir à Genève, notamment par le biais des journaux britanniques, puis par des témoignages. Il devient évident qu’Hiroshima était une ville densément peuplée et non une simple «base militaire», comme la décrit le président américain. Sur place, une délégation du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) ne tarde pas à se rendre compte des effets désastreux de la bombe atomique sur les populations civiles.
Le CICR au Japon : une prise de conscience de la catastrophe humanitaire
Le 9 août 1945, jour où l’aviation américaine largue une seconde bombe sur Nagasaki, deux délégués du CICR viennent d’arriver au Japon pour renforcer la délégation. Il s’agit de Margherita Straehler, future directrice de l’Agence centrale des prisonniers de guerre au Japon, et du médecin Marcel Junod, qui prend la tête des opérations (3). Les deux délégués sont partis de Suisse en juin 1945 pour rejoindre le Japon par l’Égypte, l’Iran, l’URSS et la Mandchourie.
Dans cet entretien, réalisé en 1946 après son retour à Genève, le docteur Junod décrit les efforts déployés par sa délégation au Japon pour rendre visite aux prisonniers de guerre alliés. Dans les territoires sous occupation japonaise (Mandchourie, Indes néerlandaises), et plus encore sur le territoire japonais, les délégués du CICR sont entravés dans leur mission. A Bornéo, le délégué Matthaeus Vischer est même condamné pour «espionnage» par les autorités japonaises, puis exécuté. Avec une certaine émotion, Marcel Junod raconte également l’évacuation par bateau d’un millier de prisonniers détenus sur deux îles de la baie de Tokyo.
L’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima ne bouleverse pas immédiatement les activités quotidiennes de la délégation. A Tokyo, comme à Genève, de nombreuses rumeurs circulent durant les jours qui suivent. Le délégué Fritz Bilfinger est alors envoyé à Hiroshima pour recueillir des informations de première main. Dans un télégramme daté du 30 août, il confirme à Marcel Junod la situation catastrophique dans laquelle se trouve la ville (4). Le CICR lance alors un programme d’urgence en collaboration avec le Commandement militaire allié à Tokyo: 15 tonnes de matériel médical sont acheminées sur Hiroshima pour venir en aide aux victimes.
L’arme nucléaire après Hiroshima et Nagasaki
Malgré le choc provoqué par les images et les récits d’Hiroshima et de Nagasaki, la prochaine conférence diplomatique qui se tient à Genève, en 1949, avec pour objectif de réviser les Conventions de Genève de 1929, laisse de côté la question de la bombe atomique. En avril 1950, le CICR appelle les États à conclure un accord sur l’interdiction des armes nucléaires. Cet appel ne parvient pas à réunir un consensus et aucune résolution n’est adoptée dans les années qui suivent (5).
Un autre événement tragique remet la question nucléaire sur le devant de la scène. Le 1er mars 1954, 23 pêcheurs japonais naviguant dans le Pacifique à plus d’une centaine de kilomètres de l’atoll de Bikini, champ d’essais nucléaires de l’armée américaine, sont victimes de l’explosion d’une bombe à hydrogène. Atteints par les poussières radioactives, les pêcheurs présentent bientôt des symptômes similaires à ceux des victimes d’Hiroshima et de Nagasaki : lésions cutanées, maux de tête, brûlures, diarrhées, etc. Un des membres de l’équipage décédera quelques mois plus tard des complications d’une maladie liée aux radiations, plusieurs autres succomberont à diverses maladies dans leur cinquantaine (6).
Interviewé sur Radio Genève à la suite de ce événement, Marcel Junod tient à souligner les conclusions dramatiques qu’il convient d’en tirer. «La menace s’étend», dit-il, car l’intensité et la portée d’action de la «bombe H» font peser sur l’humanité des dangers plus grands encore que par le passé. L’impact des radiations sur les victimes japonaises de 1945 et de 1954 et les symptômes de la «maladie atomique» sont désormais bien connus. Reste à déterminer si une exposition prolongée à des niveaux élevés de radioactivité peut engendrer des mutations génétiques.
Face aux dangers de cette «bombe à retardement», Marcel Junod estime qu’une autorité internationale doit pouvoir contrôler l’énergie atomique. Pour lui, la radiodiffusion est le meilleur moyen d’alerter l’opinion publique et la communauté internationale sur cette question: «Le problème qui se pose est bien celui de la survivance de la race humaine.»
Le droit international doit évoluer
La mobilisation en faveur d’un contrôle international du nucléaire conduit à la conclusion en 1968 d’un traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires (7). Parallèlement, le droit international évolue pour protéger au mieux les populations civiles, comme l’explique Jacques Moreillon, alors délégué du CICR, à une radio anglophone en décembre 1978:
En 1945, le bombardement d’Hiroshima n’avait, à proprement parler, violé aucun texte du droit international humanitaire (DIH). Dans ce contexte, l’introduction en 1977 de deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 entend renforcer la protection des victimes des conflits armés en interdisant explicitement les attaques contre les populations civiles.
Se souvenir d’Hiroshima
Dans ce témoignage, vraisemblablement recueilli pour une émission de la Radio Suisse Romande (RSR) en 2001, Yukio Yoshiyama se souvient de l’explosion de la bombe à Hiroshima.
Âgé alors de 11 ans, le jeune Yukio vit avec sa mère à distance d’Hiroshima, par peur des bombardements alliés. Le 6 août 1945, lui et ses camarades de classe assistent à l’explosion : lumière blanche et champignon atomique. En ville, son père et sa grand-mère sont tués sur le coup. Sa mère, partie à leur recherche, souffrira neuf ans plus tard d’une leucémie due aux radiations, heureusement guérie.
A Hiroshima, plusieurs mémoriaux ont été érigés à la mémoire des victimes de la catastrophe, ainsi qu’un monument commémoratif à Marcel Junod (8). Un musée, aujourd’hui appelé «Musée du Mémorial de la paix d’Hiroshima», conserve les traces d’Hiroshima au moment de sa dévastation et insiste sur les dangers de l’arme nucléaire. Dans son témoignage, Yukio Yoshiyama invite toute personne dirigeant un État à visiter ce musée une fois dans sa vie, pour prendre conscience des dégâts causés par l’arme nucléaire.
«Les effets terrifiants de la bombe atomique», Journal de Genève, 7 aout 1945, p. 6.
«La ville d’Hiroshima aurait disparu», Journal de Genève, 8 août 1945, p. 6.
Pour un exposé détaillé sur la carrière de Marcel Junod et sa mission au Japon, voir le billet de Camille Meyre du 28 janvier 2020.
Linh Schroeder, «The ICRC and the Red Cross and Red Crescent Movement: Working Towards a Nuclear-Free World since 1945», dans The 2017 Nuclear Ban Treaty: A New Path to Nuclear Disarmament, sous la direction de J. A. Camilleri, M. Hamel-Green et F. Yoshida (Londres : Routledge, 2019), pp. 123-135; Voir aussi «L’impact d’Hiroshima sur le CICR», Swissinfo, 3 août 2005.
Yves Lenoir, «La bombe façonne l’histoire (1946-1954)», dans La comédie atomique. L’histoire occultée des dangers des radiations, sous la direction de Yves Lenoir (Paris : La Découverte, 2016), pp. 127-145 ; Philippe Pelletier, De la guerre totale (1941) à la guerre de Fukushima (2011)», Outre-Terre, vol. 35-36, no. 1-2, 2013, pp. 399-438.
Voir à ce propos l’émission complète de la RSR.
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