Une militante féministe arabe à Genève
Figure marquante du mouvement des femmes au Liban et en Syrie, Nour Hamada s’installe à Genève à la fin des années 1930. Là, elle fonde la Ligue internationale Orient-Occident et cherche à s’impliquer auprès de la Société des Nations pour la promotion des droits des femmes. Cependant, son engagement se heurte au scepticisme des institutions internationales envers son expérience de militante, ainsi qu’à une méfiance croissante des autorités suisses à l’égard des étrangers.
La Ligue internationale Orient-Occident
Née à Baakline en 1897, dans l’actuel Liban, Nour Hamada se fait connaître comme militante féministe. Elle fonde notamment l’Assemblée culturelle et littéraire des femmes arabes (al mujammaʿ al nisaʾi al adabi al ʿarabi) à Damas en 1930 et participe à plusieurs conférences sur le statut des femmes dans la région, notamment sur la question du droit de vote. Après un séjour aux Etats-Unis, dont elle est expulsée pour avoir dépassé le délai de son visa, Hamada se rend à Paris en 1937. Elle y séjourne quelques mois avant de partir pour Genève au début de l’année 1938.
Au bord du Léman, Nour Hamada fonde la Ligue internationale Orient-Occident (1). Comme en témoignent ses statuts, la Ligue se propose de travailler à la «compréhension mutuelle» et à la «coopération intellectuelle» entre les populations de ces deux aires culturelles (2). Dans ce contexte, Hamada noue des contacts avec les intellectuels Chakib Arslan et Ihsan al-Jabri, qui militent depuis Genève pour l’indépendance des peuples arabes.
Légende: Hôtel de Russie, 1923, lieu de résidence de Nour Hamada à Genève. Photographe Frank-Henri Jullien. © BGE
L’activisme féministe perçu comme un problème
Pendant son séjour genevois, Nour Hamada tente d’intégrer le Comité d’experts de la Société des Nations chargé d’étudier le statut juridique des femmes dans le monde. Depuis l’Hôtel de Russie, où elle réside, elle fait campagne pour sa nomination, soutenue par plusieurs personnalités et organisations du mouvement des femmes. Malgré cela, sa candidature est ignorée.
D’une part, la Société des Nation écarte de ses commissions les ressortissants des pays colonisés. En vertu du «système des mandats» mis en place suite à la Première Guerre mondiale, le Liban et la Syrie se trouvent alors sous la tutelle de la France, et la Société des Nations rechigne à voir des citoyennes de ces pays participer à une enquête internationale. D’autre part, le parcours d’activiste de Nour Hamada est perçu comme un inconvénient plutôt qu’un atout, car l’organisation valorise exclusivement l’expertise juridique. Malgré de vives protestations, le Comité d’experts demeurera privé de toute voix féminine en provenance des pays arabes et de l’ancien Empire ottoman (3).
Surveiller les étrangers : Arabes et musulmans sous le poids de la méfiance
En 1938, la Ligue internationale Orient-Occident obtient l’autorisation d’organiser un congrès à Genève, mais les autorités décident de placer l’association sous surveillance. Dépêché sur place, un agent rapporte que les participants sont surtout des intellectuels de gauche et des militants de la cause arabe (4). Si Genève porte encore son image de ville-refuge pour les réfugiés politiques, les années 1930 marquent un durcissement de la politique d’accueil par la Confédération, qui redoute une prétendue «infiltration» étrangère.
C’est alors que les autorités fédérales confirment la décision d’expulsion signalée par les autorités genevoises à Nour Hamada, invoquant un manque de ressources suffisantes. Cette dernière a pourtant fourni plusieurs lettres de garanties. Les autorités suisses évoquent également leur crainte que la Ligue internationale Orient-Occident ne soit utilisée comme une plateforme de propagande pour les militants nationalistes et anti-impérialistes arabes résidant Genève, comme Arslan et al-Jabri. Pour la Confédération, la présence de Nour Hamada à Genève est superflue, voire inopportune, dans un contexte de « surpopulation » étrangère.
Hamada quitte alors la Suisse pour retourner au Liban. Comme le souligne la chercheuse Sarah Khayati, au lieu de reconnaître en Hamada le potentiel d’une militante pour la paix et d’une bâtisseuse de ponts entre l’«Orient» et l’ «Occident», les autorités suisses l’ont expulsée en prétextant une «infiltration étrangère» (5). Le parcours de Hamada illustre les défis auxquels ont été confrontées les femmes arabes cherchant à faire entendre leur voix sur la scène internationale.
César Jaquier
Références:
- « Ligue Orient-Occident », Journal de Genève, 12 septembre 1938, p. 4. letempsarchives.ch/page/JDG_19...
- Archives de la Société des Nations. File R5161/13/34919/678 – General Congress of Ligue Internationale Orient-Occident, Geneva, September 4, 1938 archives.ungeneva.org/hd6x-n7b....
- Pour plus de détails sur le sujet, lire : Nova Robinson, « Activist as Expert: Representation from the French Mandate for Syria on the Committee of Experts on the Legal Status of Women », dans Philippe Bourmaud, Norig Neveu et Chantal Verdeil (dir.), Experts et expertise dans les mandats de la société des nations : figures, champs, outils (Paris : Presses de l’Inalco, 2020), pp. 121-137.
- A ce propos, voir : Sarah Khayati, « „Der Fall is aussergewöhnlich“. Die arabische Aktivistin Nur Hamada in Genf (1938-1939) », dans Rémi Baudouï, Landry Charrier, et Thomas Nicklas (dir.), L’émigration politique en Suisse au XXe siècle (1930-1990). Pratiques, réseaux, résonances (Reims : Épure, 2017), pp 139 160.
- Sarah Khayati, op. cit., p. 160.
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