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«L'effort humain»: une oeuvre sujette à interprétations Featured

April, 1935
César Jaquier

Face au lac et à la nouvelle roselière du parc William Rappard, L’Effort humain se dresse entre deux immenses cèdres du Liban et de l’Atlas. Ce monument imposant dédié au travail et à la prospérité, fruit de l’effort humain, représente un groupe d’hommes et de femmes tirant difficilement une charrue, suivis à distance par un homme jouant de la lyre. Quelque peu énigmatique au premier abord, cette œuvre s’explique par son histoire. Une histoire qui pourrait bien exposer la statue à de nouvelles interprétations.

Un projet de longue date du sculpteur James Vibert

Né à Carouge en 1872, James Vibert suit une formation en ferronnerie à l’École des arts industriels de Genève entre 1885 et 1887, avant de se perfectionner à Lyon et d’apprendre le modelage. En 1892, il s’installe à Paris et travaille pendant plusieurs années auprès du célèbre sculpteur Auguste Rodin. De retour en Suisse, il est engagé comme professeur à l’École des Beaux-arts de Genève en 1903, où il va enseigner durant plus de trente ans, jusqu’en 1935 (1).

Lors de son séjour en France, Vibert est fortement influencé par le mouvement symboliste, en particulier par le travail de Rodin. Il s’attache dès lors à trouver sa propre façon de travailler la matière pour en créer des œuvres symboliques, aux contours souvent lissés et aux contrastes marqués. Son travail au long cours sur L’Effort humain commence à Paris, où il expose deux modèles réduits de son œuvre au Salon des Cent de 1897 et au Salon d’Automne de 1903. Un buste en bronze issu de la première maquette parisienne, nommé Étude pour L’effort humain (1898), est aujourd’hui conservé au Musée de Carouge (2).

Une version aboutie pour le Bureau international du travail

James Vibert reprend son thème au début des années 1920, lorsqu’un comité genevois a l’idée d’offrir au sculpteur la possibilité de réaliser son œuvre en taille réelle. L’idée est d’ériger l’imposante statue de L’Effort humain dans les jardins du futur bâtiment du Bureau international du travail (BIT), l’actuel parc William Rappard. Devant l’enthousiasme des membres du BIT et notamment de son directeur, Albert Thomas, une vaste campagne de souscription est lancée, qui permet de récolter des fonds fédéraux, cantonaux et communaux (3).

Claude Zurcher
BGE - Portrait du sculpteur et graveur James Vibert (avant 1942)
BGE - Portrait du sculpteur et graveur James Vibert (avant 1942)

Achevée à la fin de l’année 1934, la sculpture de James Vibert est inaugurée en avril 1935. Comme le souligne alors le Journal de Genève, son emplacement devant le bâtiment du BIT – dont la mission, rappelons-le, est de promouvoir des conditions de travail décentes pour toutes et tous – donne à l’œuvre « toute sa valeur esthétique et symbolique » (4). Parmi les personnes présentes à l’inauguration, le nouveau directeur du BIT, Harold Butler, rappelle que pour son prédécesseur, Albert Thomas, cette œuvre symbolisait « la peine des foules humaines à travers les siècles », mais aussi « l’espoir d’un monde nouveau soutenant l’effort des hommes » (5).

Un changement de décor teinté d’ironie

Implanté en 1926 au bord du lac, le siège du BIT déménage au Grand-Saconnex en 1975, privant le monument à L’Effort humain de l’institution qui lui conférait une partie de sa symbolique. Le bâtiment est alors occupé pendant plusieurs années par une série d’institutions, avant que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne s’installe finalement au Centre William Rappard en 1995.

Dans un essai sur la géographie politique de Genève, la chercheuse Debora Halbert souligne la tension et l’ironie créées par ce nouvel environnement pour L’Effort humain: «lorsque le BIT était présent, L'effort humain pouvait représenter le triomphe du travailleur et les avantages découlant de son travail, ainsi que l’espoir d’un avenir où le travail serait considéré comme plus qu’une marchandise et où la pauvreté serait éliminée. Cette même sculpture peut être lue différemment maintenant qu’elle se trouve dans l’ombre de l’OMC. Au lieu de célébrer le travail humain, l’OMC célèbre le libre-échange et ce que beaucoup appellent un nivellement par le bas en termes de salaires et de conditions de travail. » (6)

Si les monuments qui jalonnent l’espace public genevois sont toujours le fruit d’une décision visant à raconter une histoire sur la ville et sa société, il est intéressant de noter que le cours des événements peut aussi en modifier le sens.

  1. Armand Brulhart: « James Vibert », in SIKART Dictionnaire sur l’art en Suisse, 2016 (première édition 1998). recherche.sik-isea.ch/sik:pers...; Alexandra Molano Ugnivenko: « Vibert, James », in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 03.01.2015. hls-dhs-dss.ch/fr/articles/022....
  2. Musée de Carouge. James Vibert, Etude pour L’effort humain, 1898, Bronze à cire perdue, fondeur A. Melz, Paris. carouge.ch/james-vibert-etude-.... Un autre buste intitulé Le Chant de l’effort humain. Tête de femme aux yeux mi-clos, en plâtre celui-ci, est conservé au Musée d’art et d’histoire de Genève. mahmah.ch/collection/oeuvres/l...
  3. R.T., « Chronique genevoise : La belle aventure d’un sculpteur », La Gazette de Lausanne, 2 décembre 1923, p. 1. letempsarchives.ch/page/GDL_19...
  4. « Inauguration de l’ “Effort humain” », Journal de Genève, 12 avril 1923, p. 3. letempsarchives.ch/page/JDG_19...
  5. Ibid.
  6. Debora Halbert, « A Political Geography of Geneva: Mapping Globalization and its Discontents», borderlands, Vol. 7, N°1 (2008). En anglais original : « Human effort while the ILO was there could represent the triumph of the worker and the benefits wrought by their labour as well as hope for a future where labour would be seen as more than a commodity and poverty would be eliminated. This same sculpture can be read quite differently now that it is in the shadow of the WTO. Instead of celebrating human labour, the WTO celebrates free trade and what many call a race to the bottom in terms of wages and working conditions. »
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César Jaquier
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Oct 25th, 2023
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