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Arafat à Genève, soudain tout s'accelère Featured

December 13th, 1988
Pierre Crevoisier

Sur l’image télévisée, il avance avec sa délégation, keffieh sur la tête, reconnaissable entre mille, son indéfinissable sourire aux lèvres, celui qu’il porte pour la galerie. Le groupe traverse la Salle des Conférences du Palais des Nations. Des corps et des têtes diplomatiques se lèvent à son passage. Soudain, on a l’impression que le salut de la main d’Arafat surnage au-dessus de la surface, comme sur une mer agitée…

Dans une vie de journaliste, il est parfois des télescopages qui restent en mémoire. Le passage de Yasser Arafat à Genève en est un. C’était le 13 décembre 1988. Washington refuse un visa d’entrée aux Etats-Unis au leader palestinien. L’Assemblée générale de l’ONU est transférée de New York à Genève pour écouter Arafat, une démarche sans précédent dans l’histoire onusienne.

Dans les rédactions du monde, on attendait ce moment où Abou Ammar monterait à la tribune pour s’adresser aux représentants des 159 pays membres de l’ONU. Ce n’est pas rien. Pour preuve, cinquante ministres des Affaires étrangères ont fait le voyage au bout du lac. J’étais alors jeune journaliste à Radio Suisse Internationale, à Berne (1). J’aurais voulu être à Genève, sur le fil de ce moment où des paroles pouvaient faire basculer l’histoire. On espérait encore. Finalement, notre correspondant sur place allait faire l’affaire. Le rédacteur en chef adjoint allait lui prêter main forte. Je devrai me contenter de la présentation du journal du soir.

Une «vaste supercherie» dénoncé par Israël

Le 13 décembre, le discours de Yasser Arafat tient ses promesses. Le leader palestinien prononce tous les mots-clés que l’on attendait de lui, l’acceptation des résolutions onusiennes (2), la reconnaissance de l’Etat d’Israël et l’abandon du terrorisme. La logique est respectée. Un mois plus tôt, le Conseil national palestinien avait déjà confirmé le changement de stratégie de l’OLP. La proclamation d’indépendance de l’Etat de Palestine était accompagnée de la coexistence, longtemps taboue, avec Israël et la fin du terrorisme. Le 6 décembre, à Stockholm, Arafat avait aussi signé un document capital destiné à Washington où il affirmait que la paix était possible avec les Israéliens, la «paix des braves» dit Arafat. Une promesse. Tout le monde lisait l’engagement.

Presque. A Tel Aviv, Yitzhak Shamir, le Premier ministre israélien, parle de «vaste supercherie» et, à Washington, Georges Schulz, le Secrétaire d’Etat, exige des clarifications. Les mots d’Arafat ne sont pas ceux que le Département d’Etat américain avait soufflé aux oreilles palestiniennes.

Une nouvelle conférence de presse

Le lendemain, rien ne bouge. Sinon cette annonce : Yasser Arafat tiendra une conférence de presse dans la soirée au Palais des Nations. Que dira-t-il de plus, de mieux, de différent ? Je me souviens de la discussion en rédaction, avoir insisté pour que l’on suive. Je ne serai pas entendu. On verrait bien le lendemain. Autrement dit, nous allions faire l’impasse et nos correspondants sur place seront absents. Durant tout l’après-midi du mercredi 14 décembre, je tente de joindre nos journalistes à Genève. Ils ne répondront pas.

Comme je ne peux me résoudre à laisser sous silence la suite de la présence de Yasser Arafat à Genève, je demande à notre équipe technique sur place de nous transmettre la conférence en direct. Elle est agencée à 19h, une demi-heure avant mon journal du soir. Elle commencera finalement à 19h20… «Je répète pour mémoire…». Les premières paroles du leader palestinien sont enregistrées, je les traduits dans la foulée, improvise un texte en amorce de l’émission, diffuse la première minute, version française en direct et je conclus en disant que la conférence de presse vient de commencer… L’urgence commande. Je passe à la suite.

Je vous parle d’un temps… il faut imaginer que l’émission du soir devait être rediffusée durant la nuit sur le continent américain. Mon petit jeu consistant à évoquer un événement en direct ne tenait plus la route cinq heures plus tard. Je suis contraint de préparer une version remaniée de mon journal.

Les Américains prêts au dialogue

Nos correspondants genevois sont toujours aux abonnés absents. À 22h30, je reprends le papier diffusé par nos confrères de la Radio Suisse Romande (3), choisis un extrait plus fort des mots d’Arafat et retricote un contenu qui tienne la route. Sur le coup de 23h, je suis en studio lorsqu’un confrère du Newsroom annonce une autre conférence de presse, à Washington cette fois. Le Secrétaire d’État américain va faire une déclaration sur l’OLP…

Elle tombe à 0h50, soit dix minutes avant mon journal de nuit : les Américains ouvrent le dialogue avec les Palestiniens. Mon sang s’arrête. Je peux allègrement balancer à la poubelle la moitié de mon émission.

Mon sauveur s’appelle Philippe Mottaz. Il est alors notre correspondant aux Etats-Unis. Je l’appelle immédiatement. Au milieu de la tempête, nous ferons ensemble ce que j’imaginais impossible de réaliser. Raconter Arafat, les Américains, les rendez-vous manqués, la paix impossible, les paroles de Georges Schulz, la succession des interventions sur CNN que nous suivions d’un œil… en direct et sans filet.

Le grand H de l’histoire avait télescopé le petit h de mon univers journalistique. J’ai recommencé à respirer après.

    1. Jusqu'en 1999, Radio Suisse Internationale (SRI) était la voix de la Suisse à l'étranger. Elle émettait sur les ondes courtes (comme RFI ou la Deutsche Welle). La fin de la Guerre froide, conjuguée à l'arrivée du web, amorce le déclin de SRI. Depuis, l'émetteur est devenu swissinfo.ch. Les émissions radiophoniques se sont définitivement interrompues en 2004.
    1. Parmi elles, la plus célèbre, la résolution 242, votée le 22 novembre 1967 par le Conseil de sécurité au lendemain de la Guerre des Six jours.
    1. Nom porté de la Radio jusqu'en 2012, avant la convergence entre la radio et la télévision pour former la RTS.
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Pierre Crevoisier
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Nov 28th, 2022
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