Bertha von SUTTNER (1843-1914) : Mère du militantisme moderne et de l'ONU
Bertha von SUTTNER (1843-1914) : Mère du militantisme moderne et de l'ONU
La Bibliothèque des Nations Unies à Genève recèle des trésors méconnus et parfois oubliés. C’est notamment le cas des archives personnelles d’une grande dame visionnaire dont les convictions, l’action et le message peuvent encore de nos jours, nous montrer la voie.
Les archives personnelles de Bertha von Suttner (et de son collaborateur Alfred Fried) ont été achetées par la SDN en 1931 pour une raison très simple : elle a grandement contribué à la création de l’Organisation.
Pour peu que quelques chercheurs se penchent sur sa vie, et nous en avons rencontrés (cf. ci dessous ), ils sont fascinés par l’immensité de son apport à la cause humanitaire.
Dans cet Empire Austro-Hongrois, quelque vingt années avant la fin du siècle, l’aristocrate autrichienne Bertha von Suttner possède une vision globale et universelle de l’engagement pour une humanité meilleure. Elle aborde de front et quasi simultanément tous les dysfonctionnements de la société, si nombreux et malheureusement toujours actuels. La mémoire de son militantisme perdure dans les pays d’Europe Centrale ou anglo-saxons et en particulier son action pacifiste. Cependant, malgré l’actualité de son message, un processus d’oubli s’est mis en place. Peu de ses ouvrages ont été traduits.
30 années avant la première guerre mondiale, Bertha von Suttner initie le militantisme moderne par une rupture totale. Dans une société hyper militariste, souvent hostile aux nouvelles idées et plus généralement à l’éducation, elle possède cet esprit libre. Elle a goûté à cet « arbre de la connaissance » qui lui permet de surmonter les conventions et les blocages de son époque.
Elle invente non seulement le pacifisme, l’antiracisme, l’anticolonialisme, mais milite pour les droits de l’homme et pour la cause féminine, contre le dogmatisme de la société et de l’Eglise avec une modernité étonnante.
Maîtrisant parfaitement quatre langues : l’allemand, l’anglais, le français et l’italien, elle se passionne pour la littérature, la science et reste ouverte aux approches novatrices notamment celles de Darwin sur l’évolution et Henry Buckle (1). A une époque où peu de femmes osent s’exprimer, son esprit rebelle, sa curiosité intellectuelle constante et son indépendance lui confèrent une légitimité croissante qu’elle matérialise par l’écriture puis par l’action.
Son action pacifiste :
Âgée de 30 ans, sa vie devient un roman. Elle est un temps la secrétaire d 'Alfred Nobel. Elle entretiendra une correspondance avec lui jusqu’à sa mort. Elle lui inspirera de consacrer sa une partie de sa fortune, acquise grâce à l’invention de la dynamite, à la mise en place du prix Nobel. (2)
Elle se marie avec le Baron Arthur von Suttner malgré l’opposition de la famille de ce dernier. Les jeunes mariés quittent Vienne pour s’installer dans le Caucase. Leur vie est très modeste comparée aux fastes viennois mais leur permet de renforcer leur union et de développer, en commun, leur talent d’écriture. Tour à tour écrivain, journaliste, le couple, plus complice que jamais, poursuit des activités d’écriture. Elle conservera, toute sa vie, cette conviction pour la force de l’écriture et cette propension à rédiger des phrases souvent prémonitoires.
Au fil des années, la production et les ambitions littéraires de Bertha deviennent de plus en plus engagées. Le succès de son roman « l’ère des machines » (1888) la conforte dans la nécessité de se consacrer plus activement à la cause de la paix dans le monde comme contributive au progrès de l’humanité. En 1889, son roman « Bas les armes ! » (3) rencontre un immense succès. Véritable best-seller avant l’heure, l’ouvrage met en scène une héroïne qui conteste les préjugés va-t-en-guerre de son entourage et qui, à l’aide de son mari, va vivre et dénoncer l’abomination des champs de bataille. Ce succès lui permet d’acquérir cette notoriété dont elle profite pour faire passer son message aux dirigeants du monde entier en prônant le désarmement total de tous les pays. Cet engagement pour la paix, pour la mise en place d’un tribunal d’arbitrage international et la tenue de la première conférence de la Paix à la Haye en 1889 favoriseront sa nomination pour le prix Nobel de la Paix, obtenu en 1905. L’interrogation sur la légitimé des actions et des motifs qui justifient les guerres deviendra un leitmotiv qui lui permettra d’initier un Bureau International de la Paix dont le siège est d’abord localisé à Berne, puis à Genève (4).
Elle mentionnera de manière visionnaire dans son dernier roman, (5) l’usage de la fission de l’atome pour la fabrication d’une arme « Fustigeant le nationalisme, la course aux armements, les ventes d’armes, elle écrit en 1904 « il faudra bien un siècle à l’humanité pour accéder à la raison». Il semble malheureusement qu’elle ait sous-estimé la corrélation entre humanité et raison.
Son action antiraciste : La lutte contre toutes les formes de racisme et d’exclusion reste une grande cause de sa vie militante. Ses références sont puisées chez les philosophes des Lumières. Elle dénonce les errements d’une époque colonialiste où l’esclavage est encore présent mais se consacre principalement à un combat antiraciste en Europe sur deux fronts principaux :
L’anti-slavisme : En Europe, les Slaves étaient traités comme des sujets de seconde catégorie.
L’antisémitisme : Pendant longtemps l’antisémitisme ne dépasse guère les propos « de salon » et des brimades. La situation s’aggrave à partir des années 1880. Des millions de juifs de Russie et d’Ukraine sont sauvagement attaqués, menacés dans leurs biens et leurs personnes, et, à l’occasion, massacrés, ce qui provoque une grande vague d’émigration. Le couple Suttner proteste contre ces persécutions et fonde une « Association de Défense contre l’Antisémitisme » (1891).
A partir de 1891 les responsabilités nationales, et surtout internationales de Bertha von Suttner dans son combat pour la paix devenant par trop écrasantes, elle délègue la lutte contre l’antisémitisme à son mari.
« Une autorité sanitaire contrôle tous les matins la qualité du lait vendu sur le marché ; mais aucune instance ne contrôle des feuilles de haine qui empoisonnent tous les jours l’esprit de la population » écrit-elle.
Les Suttner sont confrontés à la problématique du sionisme. Bertha exprime des réserves : à quoi cela sert- il de créer de nouvelles frontières, un nouveau nationalisme, alors qu’il est urgent d’affaiblir l’un et l’autre ? Le sionisme a, à ses yeux, le tort fondamental de ne traiter que les symptômes du mal qu’est l’antisémitisme et non ses causes profondes. Pour elle, l’objectif demeure que les Juifs deviennent, le plus rapidement possible, des citoyens comme les autres. L’antisémitisme, bien loin de faiblir, redouble de violence à partir des années 1900.
Son action féministe
La société de cette époque est encore fortement influencée par la religion. Les récits judéo-chrétiens qui constituent la référence ont été écrits par des hommes et ont généré un état de pensée patriarcal qui perdure. Elle refuse d’entrer en matière pour opposer hommes et femmes selon une approche féministe, voire activiste qui les stigmatiserait. Elle s’attache à prôner une égalité des droits et devoirs de chacun en insistant sur la justice et la réciprocité. Pour lutter contre l’ordre établi, il s’agit de gommer cette connotation subalterne de la femme qui est de fait une « incapable légale » dans tout le fonctionnement de la société.Pour cette raison, son action constitue une référence qui a fait évoluer, décennies après décennies, la cause féminine.
Bertha meurt le 21 juin 1914, quelques semaines avant le début de la première guerre mondiale qu’elle annonçait en 1910 comme meurtrière et qui provoquera des millions de morts. Ses cendres sont déposées dans une urne au cimetière de Gotha (Allemagne).
Un demi-siècle plus tard, Éléonore Roosevelt, présidera la commission qui aboutira à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Deux femmes, deux destins qui se ressemblent étrangement, se complètent et qui ont contribué à façonner l’opinion…
(1) Henry Buckle : “Histoire de la civilisation en Angleterre” (‘‘History of Civilisation’ in England’) (1857, 1861)
(2) Bertha von Suttner agira pour que le premier prix Nobel de la Paix soit remis conjointement en 1901 à Henry Dunant pour la création de la Croix Rouge et à Frédéric Passy pour la création de la Société d’arbitrage des Nations, qui deviendra la SDN puis l’ONU
(3) Bas les armes ! fut considéré, pour la cause pacifique, comme l’équivalent de La Case de l’oncle Tom pour l’abolition de l’esclavage et du Souvenir de Solferino, pour la création de la Croix-Rouge. (Verdiana Grossi, Le pacifisme européen, 1889-1914)
(4) Bureau International pour la Paix : ipb.org/who-we-are
(5) Der Menscheift Hochgedanken (« les pensées sublimes de l’humanité »)
Références :
Articles et conférences de M. Jean Paul Vienne
Thèse de Mme Marie Antoinette Marteil : l’œuvre de Bertha von Suttner de 1880 à 1897
Brigitte Hamann : Bertha von Suttner, une vie pour la paix- traduction française de M. Jean-Paul Vienne
Site web: (Dr Elizabeth May) berthavonsuttner.com
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Bonjour Christian, pourriez-vopus ajouter une photo libre d'utilisation à votre article? Ce serait un énorme plus pour notre page d'accueil, merci beaucoup et bonne continuation. Cordialement, David Glaser, reporter de geneveMonde
Bonjour David, c'est fait ! C'était mon premier article publié et je n'avais pas tout compris.
merci beaucoup, c'est parfait