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Potences et bombe pour le shah à Genève Featured

June 13th, 1972
Pascal Praplan

Entre la Suisse et Mohammad Reza Pahlavi, l’histoire avait pourtant bien commencé : le futur shah d’Iran fait une partie de ses études à l’Institut Rosey, à Rolle, il passe ensuite et régulièrement ses vacances dans le pays, avant que d’acheter, en 1968, une villa à Saint-Moritz… A cette époque toutefois, face à l’autoritarisme croissant du régime, l’opposition iranienne s’organise au niveau international, mettant sur pied nombre de manifestations, notamment avec les mouvements estudiantins.

A Genève, ces protestations vont culminer en 1976 avec l’occupation, par des étudiants iraniens, du consulat général d’Iran, occupation qui va singulièrement péjorer les relations entre la Confédération et le royaume perse (1). Mais c’est quatre ans plus tôt, les 13 et 14 juin 1972, que la ville connaît de véritables émeutes entre manifestants et forces de l’ordre à l’occasion de la visite de Reza Pahlavi, invité par l’Organisation internationale du travail (OIT).

Cointrin sous haute surveillance

Avant même l’arrivée du shah, les contestataires, «des militants de la Ligue marxiste révolutionnaire», mènent une opération spectaculaire : ils plantent, sur six places genevoises, «des potences de plus de deux mètres de haut» après avoir placardé sur tous les murs de la ville, la nuit précédente, des affiches présentant le couple royal devant la silhouette d’un pendu. Tracts et discours dénoncent les exécutions d’opposants du régime iranien et les ventes d’armes suisses à celui-ci (2).

Le jour de l’arrivée de Reza Pahlavi, des mesures de sécurité sans précédent sont prises : autour de l’aéroport, 200 policiers, mitraillette au poing, soutenus par des camions antiémeutes veillent au grain, des voitures de police et des hélicoptères encadrent le cortège du shah jusqu’à son hôtel à Bellevue (3). Plus anecdotique, l’anarchiste Narcisse Praz, rédacteur en chef du journal La Pilule (4), condamné pour insulte à chef d’État, est arrêté peu avant que les choses ne se gâtent...(5)

Journalistes malmenés

Dans la journée, une bombe – dont on ne connaîtra pas la puissance – est découverte sous le globe doré du parc du Palais des Nations et désamorcée. Puis en début de soirée, les policiers essaient de disperser quelque 500 manifestants dans le quartier de Cornavin (non loin du consulat iranien), les échauffourées éclatent et se prolongent tard dans la nuit, débordant dans les quartiers environnants et jusque dans les Rues basses et la place Neuve où le socle de la statue du général Dufour est orné d’un «shah assassin» en lettres rouges (6).

Au final, on relève plusieurs blessés, dont deux jeunes gens emmenés en ambulance. La police a dû déloger six personnes qui se sont enchaînées devant le Palais des Nations. L’appareil photographique d’un reporter de Keystone est saisi, le photographe enfermé dans un fourgon des forces de l’ordre. Plusieurs journalistes sont malmenés, entraînant les protestations officielles de l’Association de la presse genevoise et de celle des reporters photographes de la presse suisse (7).

Cadeaux royaux à la police

Le deuxième jour de la visite officielle du shah se passe sans incident – hormis le cri d’ «assassin» lancé au souverain par une femme qui a réussi à se glisser à ses côtés. Après de longs discours à l’OIT, Reza Pahlavi s’envole dans l’après-midi pour Saint-Moritz en avion privé (8). Mais l’affaire n’en reste pas là, qui rebondit huit mois plus tard.

Début février 1973, Henri Schmitt, chef du Département de justice et police (DJP) genevois, doit admettre que le shah a envoyé, en guise de remerciement, 400 à 500 médailles d’or aux policiers qui avaient assuré sa protection ainsi que des tapis d’orient à cinq officiers de police. Le conseiller d’État en a autorisé la remise aux forces de l’ordre. Il minimise la chose – les médailles-souvenirs d’or de la taille d’une pièce de 20 centimes valent entre 20 et 40 francs et ne sauraient être assimilées à des décorations, les tapis sont en fait de «petites carpettes de la taille d’une descente de lit»… (9)

La gauche, socialistes et membres du Parti du travail, ne l’entend pas de cette oreille, qui présente deux résolutions au Grand Conseil pour renvoyer ces cadeaux à l’expéditeur ou les donner à des institutions sociales. M. Schmitt donne au Parlement une nouvelle version de l’acheminement des médailles et tapis. André Leyvraz, chef de la police s’est rendu avec sa femme en Iran à titre privé, pour ses vacances, l’automne précédent. Il y aurait reçu les présents royaux à destination de la police (10).

Et puis c’est une pratique courante, argumente le chef du DJP : petits cadeaux de Guillaume II en 1911, étuis à cigarettes en argent de la délégation soviétique auprès de la Conférence économique en 1927, épingles à cravate de la reine Wilhelmine de Hollande en 1936, montres de grandes marques de Viatcheslav Molotov en 1954… Même Paul VI y est allé de ses médailles en 1969, «à l’effigie du Christ et de la sienne propre» (11). Devant tant de précédents, les résolutions seront repoussées par la majorité de droite du Grand Conseil et l’affaire se dégonflera sans suite.

Image de couverture: capture d'écran du document de la RTS.

Références

  1. swissinfo.ch/fre/politique/his...
  2. Journal de Genève du 12 juin 1972, p. 3.
  3. Gazette de Lausanne du 14 juin 1972, p. 11.
  4. La Pilule va jusqu’à reproduire la couverture de l’arrivée du shah à Genève par le journal iranien Kayan qui tait totalement les manifestations :doc.rero.ch/record/8038/files/...
  5. Gazette de Lausanne, idem.
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Gazette de Lausanne du 15 juin 1972, p. 11.
  9. Journal de Genève du 16 février 1973, p. 3.
  10. Journal de Genève du 26 février 1973, p. 8.
  11. Ibid.
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Pascal Praplan
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Dec 7th, 2022
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