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Micheline Calmy-Rey : «Oui, l'Initiative de Genève semblait possible» Featured

Luisa Ballin
geneveMonde

Signée le 1er décembre 2003 à Genève par l’ancien ministre israélien Yossi Beilin et l’ancien ministre palestinien Yasser Abd Rabbo, sous l'impulsion d’Alexis Keller, professeur de droit à l’Université de Genève, l’Initiative de Genève avait bénéficié du soutien de la Suisse et notamment de sa conseillère fédérale d’alors Micheline Calmy-Rey, en charge du Département des affaires étrangères.
Vingt-et-un ans plus tard, et au moment où la guerre entre le gouvernement israélien et le Hamas fait rage à Gaza, Micheline Calmy-Rey se souvient de la négociation du seul document à avoir fait des propositions concrètes sur tous les problèmes relatifs à une solution à deux Etats.

geneveMonde.ch: pourquoi la Suisse a-t-elle soutenu à l’époque l’initiative de Genève?

Micheline Calmy-Rey. La Suisse a soutenu un accord entre des représentants des sociétés civiles israélienne et palestinienne. Nous avions participé à faciliter les négociations. Il s’agissait de la suite des Accords d’Oslo et la concrétisation de la solution à deux Etats, un Etat israélien et un Etat palestinien.

Ces personnes se sont entendues à la fois sur le retour des réfugiés et les compensations éventuelles à leur accorder, sur le statut de Jérusalem, les frontières et sur les principaux problèmes concrets que pose la solution à deux Etats. Toutes ces questions figuraient dans l’Accord de Genève. C’est pour cela que la Suisse l’a soutenu. A l’époque, cela semblait possible. Les membres des sociétés civiles israélienne et palestinienne avaient développé, avec l’aide de la Suisse, des solutions dans un opus de 500 pages qui permettaient la concrétisation de la solution à deux Etats.

Pourquoi cette solution à deux Etats ne s’est-elle pas concrétisée?

Les grandes puissances et les pays de la région n’ont cessé de parler de la solution à deux Etats sans vouloir la concrétiser. La poussière a été cachée sous le tapis en pensant que le conflit israélo-palestinien allait pouvoir se régler naturellement avec la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite et d’autres pays de la région. Cela ne s’est pas passé ainsi. Puis les événements du 7 octobre 2023 ont eu lieu...

Vous étiez impliquée dans les discussions autour de l’Accord de Genève. Quel était le contexte à l’époque?

J’étais en charge du Département des Affaires étrangères. Le projet de soutien à l’Initiative de Genève était un projet suisse. Mes collègues du Conseil fédéral étaient informés. Des membres de la société civile israélienne et palestinienne avaient négocié cet accord entre eux et nous les avions soutenus. Le Hamas n’était pas très chaud par rapport à cet accord et Israël avait - et a toujours - des problèmes avec la solution à deux Etats. Les Etats-Unis étaient pour cette solution qui avait rencontré à l’époque un grand écho international. Il y avait une fenêtre d’opportunité. En 2003-2004, la situation était différente de ce qu’elle est aujourd’hui.

Pourquoi la Suisse n’a-t-elle pas persévéré dans son soutien à l’Initiative de Genève?

L’Initiative de Genève était la concrétisation de la solution à deux Etats. Il y a deux ou trois ans, la Suisse a décidé de retirer son soutien à l’Initiative de Genève. J’avais réagi à l’époque en disant : si vous le faites, cela veut dire que vous ne soutenez plus la solution à deux Etats. C’était évident. La Suisse, comme d’autres pays, parlait de la solution à deux Etats, mais rien n’a été fait pour la concrétiser.

Je ne dirais pas que l’Initiative de Genève est moribonde. Elle a le destin de la solution à deux Etats entre ses mains. Si cette solution doit se concrétiser, les propositions qui figurent dans l’Initiative sont là. Tout a été traité de façon très détaillée.

Mais cette solution à deux Etats est-elle encore possible ?

Ce qui me préoccupe, c’est que l’on parle toujours de cette solution, mais les colons israéliens, qui à l’époque étaient 200'000, sont aujourd’hui plus de 700'000 en Cisjordanie devenue un territoire avec des micros-territoires qui sont ingouvernables tels quels.

Le Président des Etats-Unis Joe Biden et d’autres dirigeants politiques internationaux évoquent à nouveau la solution à deux Etats. Est-ce réaliste?

Je ne suis pas sûre que la solution à deux Etats soit encore possible, ou réaliste. Le gouvernement israélien ne veut pas en entendre parler. Cela va être difficile de la mettre en œuvre vu les évolutions qui ont eu lieu sur le terrain depuis les années 2003-2004. Je ne dirais pas que l’Initiative de Genève est moribonde. Elle a le destin de la solution à deux Etats entre ses mains. Si cette solution doit se concrétiser, les propositions qui figurent dans l’Initiative de Genève sont là : statut de Jérusalem, retour des réfugiés palestiniens, question relative aux colons israéliens, tout a été traité de façon très détaillée. Quand j’ai remis un exemplaire de ce document de 500 pages à Hilary Clinton, elle m’a dit : « Vous avez fait nos devoirs à domicile ». Oui, nous avions fait le travail !

Comment expliquer que les Etats-Unis qui disaient soutenir à l’époque l’Initiative de Genève sans rien faire pour la concrétiser évoquent à nouveau la solution à deux Etats alors qu’elle est pratiquement impossible à mettre en œuvre?

On ne sait pas trop comment se sortir de la situation actuelle qui est très compliquée. Les Etats-Unis, la Suisse et d’autres parlent de la solution à deux Etats. Voyant l’attitude israélienne et ce qui se passe sur le terrain, des personnes réfléchissent, y compris à Genève, à des solutions politiques : à la possibilité d’un Etat fédéral avec deux entités, ou à un seul Etat avec des droits semblables pour les Israéliens et pour les Palestiniens. Mais c’est difficile.

Que préconisez-vous?

Pour sortir de cette situation, il faudra un cessez-le-feu, la libération des otages et une solution politique. Du côté de l’Union européenne, on pense qu’il faut aller dans le sens d’un retrait des forces israéliennes de Gaza, remplacées par un gouvernement de l’Autorité palestinienne. La situation n’est plus la même qu’à l’époque. Il faudra se montrer créatif pour qu’il y ait une possibilité pour les Israéliens et les Palestiniens de coexister puisqu’ils se trouvent sur ce territoire. Mais du côté israélien, certains prônent l’expulsion et la déportation des Palestiniens du territoire de Gaza.

Voyez-vous aujourd’hui une volonté politique des Etats-Unis, des pays européens et des pays arabes pour trouver enfin une solution qui mette fin à la guerre israélo-palestinienne et aux souffrances des populations palestinienne et israélienne?

Je pense que les Etats arabes, dont l’Arabie saoudite, qui était dans un processus de normalisation des relations avec Israël et qui l’a suspendu, ont aussi un rôle à jouer. La question palestinienne revient sur le devant de la scène et l’on ne continuera pas à normaliser les relations sans qu’il y ait une solution pour les Palestiniens. Le Qatar et l’Egypte jouent également un rôle. Je ne pense pas que les Etats-Unis vont continuer à soutenir cette situation où des milliers de gens meurent lors d'une violation du droit international, d’un côté comme de l’autre. Ils vont bien devoir chercher une solution négociée.

L’UNRWA (1) fête 75 ans d’activités. La Suisse est en train d'abandonner son soutient à cette agence onusienne...

Malheureusement, l’UNRWA a été critiquée par le ministre des Affaires étrangères suisse (Ignazio Cassis, ndlr). Elle joue un rôle d’autant plus important avec ce qui se passe sur le terrain. J’ai vu un éloge de l’UNRWA par Josep Borrell de l’UE (ndlr : l’ancien Haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité). C’est le comble que l’UNRWA, dirigée par un Suisse et que la Suisse finance, soit mise en cause par la Suisse ! Plusieurs ONG avaient aussi été mises en cause. Cela est difficilement compréhensible.

Entretien réalisé par Luisa Ballin et Claude Zurcher

Texte de l'Initiative de Genève en pdf

Pour découvrir notre dossier complet sur l'Initiative de Genève, cliquez sur ce lien.

  1. UNRWA, Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, qui fournit des services éducatifs, sanitaires et sociaux, des microfinancements, d'amélioration des camps et d'aide d'urgence à 4,6 millions de réfugiés palestiniens en Jordanie, au Liban, en Syrie et dans les Territoires palestiniens occupés.
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Sep 23rd, 2024
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