1920 : Genève en euphorie SdN
Photo de couverture: le 17 mai 1920, proclamation du résultat du vote d'adhésion de la Suisse à la SdN, Bibliothèque de Genève
La liesse s’est fait un peu attendre, en ce mois de mai 1920. C’est qu’une issue favorable au scrutin fédéral sur l’entrée de la Suisse à la Société des Nations (SdN) (1) était loin d’être acquise. S’y opposaient notamment les socialistes, qui voulaient une ligue qui ne soit pas «une assurance du capitalisme» (2), mais aussi des nationalistes et conservateurs tenants de la très stricte neutralité armée du pays. Plus largement, la majorité de la population alémanique voyait dans la SdN en devenir un club des vainqueurs de la Première Guerre mondiale alors qu’elle «avait souhaité la victoire des Empires centraux» (3).
De fait, ce sentiment se traduit visiblement dans les résultats qui tombent en cette fin de journée du 16 mai : alors qu’en Suisse latine, le «oui» l’emporte souvent avec des majorités de trois, quatre, voire six contre un, le «non» a le dessus dans une douzaine de cantons et demi-canton alémaniques. L’enthousiasme des Latins avalise l’entrée de la Suisse à la SdN (416'870 voix pour, 323'719 contre), tout comme le vote positif de quelques cantons alémaniques, notamment Berne et Lucerne (onze cantons et demi acceptant l’entrée, dix et demi la rejetant).
« 50'000 personnes » dans les rues
Au lendemain du vote, la folie finit quand même par s’emparer de Genève – qui a tout à gagner de ce résultat positif. Le Journal de Genève consacre la totalité de sa une à l’événement, avec des titres comme «La Victoire», «Gratitude», «Heures d’émotion» (4). Les pages intérieures donnent la voix aux discours dithyrambiques des autorités, ainsi qu’au compte-rendu de la manifestation du lundi après-midi, sous les auspices du Conseil d’Etat et du Conseil administratif.
A en croire le quotidien, « le cortège comptait plus de 10'000 participants. […] 50'000 personnes au minimum se pressaient sur les ponts et dans les rues. Et pas un balcon, pas une fenêtre inoccupée. […] Le défilé devait durer une heure et quart dans un ordre parfait », qui réunit tout le monde : gendarmerie, Croix-Rouge, Grand Conseil (à l’exception des socialistes), sociétés patriotiques et de tir, fanfares, écoliers et boy-scouts… (5) Tout ce beau monde passe par la Treille pour une série d’allocutions avant de terminer son parcours en la cathédrale de Saint-Pierre pour d’autres discours…
Course contre la montre
Genève, on l’a dit, a de quoi se réjouir. Quelques mois après la votation, le Bureau international du travail s’y installe, suivi par le secrétariat de la Société des Nations, avant que celle-ci n’y tienne, en novembre de la même année, sa première assemblée générale (6). La Suisse y participe comme membre à part entière. Il s’en est pourtant fallu de peu que sa neutralité ne contrarie cette participation.
Car si le Conseil fédéral propose, dès août 1919, une adhésion à la Société des Nations et son approbation par le peuple, les Chambres fédérales y ajoutent une condition, une clause dite «américaine» qui exige que les cinq membres permanents du Conseil (Royaume-Uni, France, Italie, Japon et USA) ratifient au préalable le pacte fondateur. Or le président américain peine à convaincre son pays (7) et la ratification dudit pacte traîne en longueur (8).
Le Conseil suprême conteste alors à la Suisse ses réserves sur la neutralité, amenant les parties à négocier. Dès lors, tout se précipite. Les négociations aboutissent à la Déclaration de Londres du 13 février 1920 qui accorde de manière explicite une neutralité «différentielle» à la Suisse et sa non-participation à d’éventuelles sanctions militaires. «Réunies en urgence, les Chambres annulent le 5 mars la «clause américaine », ouvrant la voie au référendum fixé au 16 mai» (9)…
- Première fois en Suisse que le peuple se prononce sur un traité international (parlament.ch/fr/über-das-parla...).
- Gazette de Lausanne du 7 novembre 1919, p. 1.
- Bernard Lescaze, « La Suisse et la SdN » in 100 ans de multilatéralisme à Genève. De la SdN à l’ONU, Genève : Éditions Suzanne Hurter, 2020, tome I, p. 109.
- Journal de Genève du 18 mai 1920, p. 1.
- Idem, p. 4.
- Journal de Genève du 20 décembre 1920, p. 1.
- Les Etats-Unis n'ont jamais adhéré à l'organisation et une grande partie du monde est restée sous domination coloniale (ungeneva.org/fr/library-archiv...).
- Antoine Fleury, « Société des Nations (SdN) », in Dictionnaire historique de la Suisse, version du 15.04.2015, hls-dhs-dss.ch/fr/articles/026...
- Ibid.
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