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Des peuples autochtones snobés par la SDN Featured

September, 1923
Pascal Praplan

On ne touche pas impunément aux fondements des empires coloniaux. C’est ce qu’a appris à ses dépens le chef iroquois Levi General, plus connu sous son titre de Deskaheh (1) ou « chef héréditaire » de la réserve des Six-Nations, sur la rivière Grand en Ontario. Dans les années 1910-1920, le Dominion du Canada multiplie les vexations à l’égard des peuples de la réserve (conscription militaire, retrait du statut d’indien, spoliation de terres…). Ces manœuvres culminent en 1923 avec la tentative de destituer le Conseil héréditaire et d’instaurer un conseil élu (2).

Deskaheh ne l’entend pas de cette oreille et s’embarque pour l’Europe où il va rester plus d’une année, essentiellement à Genève, puisqu’il entend plaider la cause des Six-Nations comme nation souveraine devant la Société des Nations (SDN). Il va trouver au bout du lac un accueil des plus chaleureux, tant dans la population qu’auprès des autorités locales. Il bénéficiera en outre du soutien financier du Bureau international pour la défense des indigènes, présidé par l’homme de lettres René Claparède(3).

Plumes et costume traditionnel

Le chef fait sensation lors de conférences devant des salles combles, à tel point qu’il faut en dédoubler certaines. Il intervient également durant une soirée scoute en son honneur, toujours en grande tenue traditionnelle (4). Il parle des «nouvelles formes d’esclavage» à l’Athénée, des «mœurs et institutions» de sa réserve à la Salle centrale, de «fraternité» à la Société théosophique ou encore de sa pétition à la SDN à la Salle centrale.

Cette pétition, intitulé «The Red Man’s Appeal for Justice» (5), est adressée à James Eric Drummond, premier secrétaire général de la SDN. Elle rappelle le traité de protection britannique signé avec le roi Georges III en 1784 et jamais dénoncé. Elle énumère également les exactions canadiennes, notamment l’appropriation de fonds de la réserve et l’occupation militaire de son territoire. Elle réclame la reconnaissance de l’autonomie des Six-Nations, «unies dans la plus ancienne Ligue des nations, la Ligue des Iroquois» (6).

Une « affaire interne » au Canada

Conformément aux procédures de la Société des Nations, Deskaheh confie cette pétition à l’ambassadeur néerlandais aux Etats-Unis pour qu’il la transmette au Conseil de la SDN. Le Canada, soutenu par la Grande-Bretagne et M. Drumond, s’en offusque et le secrétariat de la SDN refuse d’enregistrer le document, qui est toutefois distribué aux délégués des Etats membres. Plusieurs pays réclament alors son inscription à l’ordre du jour, notamment la Perse qui insiste. «Contre toute procédure régulière, Le Conseil […] exerce les pressions nécessaires [sur le gouvernement perse] pour qu’elle soit retirée.» (7)

Durant la séance suivante du Conseil, seule la prise de position du Canada sera examinée, et ledit Conseil s’y rangera : «les Indiens des Six Nations sont des sujets canadiens et leur protestation est une affaire interne»(8)… Maigre consolation pour un Deskaheh interdit de parole à la SDN, Jean-Baptiste Pons, maire de Genève à l’époque, organise un événement officiel et public pour que le chef soit entendu. Invités, nombre de dignitaires de la SDN y participent(9)….

Un précédent précieux

Le chef iroquois ne va pas survivre longtemps au désaveu «des grands de ce monde». Il tombe malade à Genève avant que de retourner en Amérique pour mourir d’une pneumonie sur les bords du Niagara. « Il n’y a pas de doutes pour nous que les peines morales qu’il a subies ne soient pour beaucoup dans ce triste dénouement», écrivent alors les membres du Bureau international pour la défense des indigènes dans leur hommage (10).

Les démarches du Deskaheh s’avèreront toutefois utiles pour la suite : «le voyage transatlantique jusqu’en Suisse devint une possibilité importante d’attirer l’attention de la communauté internationale et de l’opinion publique mondiale sur leurs graves inégalités sociales» (11). Et de fait, plusieurs délégations se succèdent auprès des Nations Unies et de l’Organisation internationale du travail avant que ne soit adoptée, en 1957, une première convention « relative aux populations aborigènes et tribales (12)…

Notes et références

  1. Pour une biographie complète, voir le Dictionnaire biographique du Canada, biographi.ca/fr/bio/deskaheh_1...
  2. L’Encyclopédie canadienne, thecanadianencyclopedia.ca/fr/...
  3. Sur le Bureau, on lira avec intérêt le manifeste de son secrétaire Edouard Junod sur international-review.icrc.org/.... Plus largement sur le sujet, Emmanuelle Sibeud, Entre geste impériale et cause impériale, défendre les indigènes à Genève dans les années 1920, cairn.info/revue-mondes1-2014-...
  4. Journal de Genève du 19 septembre 1923, p. 4.
  5. L’appel à la justice du Peau-Rouge. On en trouvera le texte complet sous cendoc.docip.org/collect/deska...
  6. Ibid. p. 1.
  7. Emmanuelle Sibeud, op. cit., p. 40.
  8. Ibid.
  9. Selon le journaliste Kenneth Deer, cité par Le Courrier du 14 août 2014.
  10. Journal de Genève du 11 juillet 1925, p. 3.
  11. Rachel Huber, « Tradition suisse de la résistance des peuples autochtones », blog du Musée national suisse, blog.nationalmuseum.ch/fr/2022...
  12. Pierrette Birrau, « ONU, la stratégie des peuples autochtones », Choisir, 2019 (choisir.ch/societe/histoire/it...)
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Pascal Praplan
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Feb 8th, 2023
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