Entretien avec M. Stéphane HESSEL
Stéphane HESSEL 1917/2013
Décembre 2011 - J'ai rendez-vous avec Stéphane Hessel dans l'entrée d'un hôtel de Genève. J'essaie depuis des mois, de le rencontrer. L'opportunité s'est présentée grâce à un heureux concours de circonstances.
Pendant ces minutes brèves, intenses d'entretien, tout est important : le regard, le phrasé, même le silence. La personnalité de cet homme est décidément, comme la déclaration dont il fut l'un des auteurs en 1948 : universelle.
Une décennie plus tard, son propos, sa sagesse, sa bienveillance résonnent plus que jamais dans ma mémoire.
Votre livre "indignez-vous" a déclenché une réaction inattendue et même suscité le mouvement du même nom dans plusieurs capitales. Comment expliquer qu'un message puisse toucher à ce point ?
Ce petit livre a été publié en octobre 2010. Je pensais à ce moment qu'il pouvait intéresser quelques personnes. J'étais opposé à quelques décisions politiques prises dans mon pays. Les valeurs de la résistance n'étaient pas respectées comme elles l'auraient dues. Et puis, trois mois plus tard, un nombre incroyable de contestations, portant sur la manière dont fonctionne la société, se sont déclenchées. J'ai toujours porté ma réflexion sur le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, l'ONU a développé le concept de valeurs fondamentales, universelles, quelles que soient l'origine, l'ethnie, la nationalité. La situation ambiguë dans laquelle se trouve actuellement la société mondiale a suscité de l'intérêt, d'où ce message : cela ne peut pas fonctionner comme ça ! La rapidité avec laquelle ce livre a été traduit dans une quarantaine de langues est évidemment due au mérite des responsables des éditions indigènes. Le fait qu'ils aient eu des contacts avec les éditeurs du monde entier prouve que la contestation était latente. Je n'ai pas été surpris par l'intérêt en France. J'avais écrit quelques ouvrages dans lesquels je défends les mêmes idées : Les Nations Unies, les règles internationales, la gauche progressive. Que ce petit livre se vende à trois millions d'exemplaires en français et autant dans le monde m'a en revanche étonné. J'ai essayé de comprendre et je crois avoir trouvé la réponse : Edgar Morin mentionne que nous visons au seuil d'un changement profond de la façon dont les sociétés se comportent sur la Terre. Après deux siècles de progrès scientifiques, les hommes ont exploité, surexploité les ressources. Ils étaient satisfaits de voir que le capitalisme permettait d'accumuler les richesses pour les uns, travailler pour les autres et pensaient que cela n'aurait pas de fin. Tout à coup, la chute des tours jumelles à Manhattan a contribué à ébranler ces certitudes. Les dysfonctionnements de la société provoquent le terrorisme. Qu'est-ce que le terrorisme ? C'est ce qui permet à quelques malfrats, qui ne sont en général pas les plus pauvres, de mobiliser les populations en souffrance en catalysant la haine. "Indignez-vous" est un premier message. Le deuxième est "engagez-vous" pour trouver le chemin de l'espérance. Nous avons des choses à faire dès maintenant.
L'ONU, avec ses 193 États Membres, n'a-t-elle pas plus de légitimité à régler les problèmes du monde que le G 20?
Je reviens sur le rôle historiquement unique des Nations Unies. Jamais l'homme n'avait eu à sa disposition un programme aussi clair et précis. La Charte des Nations Unies adoptée à San Francisco le 24 juin 1945 décrit clairement les bases sur lesquelles l'humanité peut progresser. Il ne s'agit pas seulement de mettre fin aux conflits, mais également de développer la liberté et les droits de l'homme. Cette Charte reste un repère fort pour les États, même s'ils ne la respectent pas toujours. C'est pour cela qu'un G8 ou qu'un G20 n'ont pas vraiment de légitimité, les États font ce qu'ils veulent : évidemment des choses utiles, mais ils sont surtout très soucieux de leurs propres intérêts. Le merveilleux effet des Nations Unies est que les États se réunissent tous les ans au moins une fois. Sa force, ce n'est pas seulement l'Assemblée Générale, ni le Conseil de Sécurité, avec tous ses défauts. Ce sont aussi les institutions spécialisées, leur légitimité tient à ce qu'ils se réfèrent à la Charte. Quand le PNUD fait du développement, il le fait pour l'humanité et non pas pour défendre les intérêts de tel ou tel pays. La différence est là.
Pensez-vous que cette importance de la Charte soit intégrée par les personnes qui travaillent pour l'ONU ?
La Charte mentionne que tous les fonctionnaires ne doivent avoir qu'un objectif : le bien de l'humanité. C'est joli à dire, mais pas facile à accomplir. Nous sommes des êtres complexes grâce à nos cultures différentes.
Mon épouse, qui est enseignante, constate depuis quelques années un réel changement : agressivité, impolitesse des enfants, manque de concentration, de respect, démission éducative des parents. Qu'en pensez-vous ?
Des organisations des Nations Unies sont présentes et actives, comme en Palestine avec l'UNRWA qui a décidé d'enseigner les droits de l'homme à l'école. Il est mentionné dans le préambule que les droits de l'homme doivent faire l'objet d'une éducation. C'est évidemment un des objectifs à atteindre. Les enfants apprennent très vite qu'ils font partie d'une société mondiale dont ils seront un jour les citoyens.
Vous prenez la parole avec un mélange de force, de douceur et de conviction. Vous parvenez à captiver votre auditoire. Comment fonctionne Stéphane Hessel et qu'est-ce qui lui donne une telle vitalité et cette vivacité intellectuelle ?
Je ne me fais aucune illusion sur ce que j'apporte. J'essaie de donner aux gens qui veulent bien m'écouter, une confiance en eux-mêmes. Je leur dis : soyez responsables, courageux, ayez confiance, réveillez-vous. Si vous regardez autour de vous, voyez ce qui vous paraît fonctionner mal et engagez-vous pour que ça change". À maintenant 94 ans, je suis très vieux, mais je suis à peu près en bon état, je n'ai donc aucune raison de ne pas continuer à "faire le boulot". Le fait d'avoir vécu la deuxième guerre mondiale dans des conditions difficiles, d'avoir survécu, me donne une responsabilité, ne serait-ce qu'à l'égard de tous les camarades que j'ai perdus.
Vous évoquez la guerre, pensez-vous que les difficultés actuelles que traverse le monde peuvent avoir un effet bénéfique en révélant le meilleur de l'humain ?
Oui, je suis convaincu que des moments dramatiques suscitent, de la part de ceux qui les vivent, une nouvelle énergie. Quand je vois ce qui se passe dans les conférences pour le climat, ce n'est pas rassurant. Autre exemple, l'Europe dont je suis fier d'avoir participé à la création a des lacunes. Votre question est importante, lorsque la crise devient très grave, cela permet-il de rebondir ? théoriquement oui, pratiquement, nous ne le constatons pas toujours.
Pensez-vous que l'homme sur Terre a une mission, si oui, que vous reste-t-il pour accomplir la vôtre ?
Nous sommes une drôle d'espèce animale, égoïstes, en conflit avec les autres, cupides. Nous sommes aussi des êtres de générosité. Un ami psychiatre explique que quand l'homme fait quelque chose pour l'autre, cela lui fait du bien.
Si vous rencontriez le jeune Stéphane Hessel, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais :(cliquer pour écouter l'extrait sonore) indigne-toi parce que le monde dans lequel nous vivons est mal fichu et ne reste pas à t'indigner, engage-toi ! Choisis le problème qui te préoccupe le plus et contribue à le résoudre.
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Cher monsieur Christian DAVID, Il y a diverses manières de s'engager. Ceci selon les capacités intellectuelles, des forces physiques et psychiques de chacun(e) l'investissement peut circuler de façon très varié. C'est à dire, aussi bien dans l'augmentation des activités à buts positives demandant un fort engagement et investissement personnelle, comme tout aussi bien dans et ou l'abstention, si possible absolu d'actes beaucoup trop faciles comme, les investissements financiers et tout autres gestes égoïstes, néfastes et cruels pour et envers toutes formes de la vie sur terre
merci à vous cher Christian
Amicalement Renata
Merci chère Renata pour votre commentaire pour votre commentaire bienveillant et constructif !